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ArteHistoire

Michel Sittow, un portraitiste de cour

9 Août 2015 , Rédigé par Sabrina Ciardo Publié dans #Histoire de l'art

Michel Sittow, peintre de cour découvert au XIXe siècle, s’est montré un artiste important de son temps notamment par ses déplacements qui ont été favorisés non seulement par la cour, mais aussi par l’économie et la politique de son temps. Mais un problème s’est posé lors de sa découverte. Il s’agit de la question des attributions, car plusieurs de ses œuvres ne sont pas confirmées par les archives et les inventaires de son époque. Parmi ces sources, l’inventaire des peintures de Marguerite d’Autriche, dressé à Malines en 1516, mentionne plusieurs panneaux « de la main de Michel ». Cette mention publiée par Le Glay en 1839, ne permit de rapprocher cet artiste à aucun peintre connu de ce nom. Puis, en 1865, Alexandre Pincart « […] découvrit une ordonnance de Marguerite d’Autriche dans laquelle le peintre Michiel est signalé, mais, cette fois, avec une précision sur son nom de famille, ZITTOZ »[1]. Mais cet auteur se trompa concernant la nationalité de l’artiste en proposant une provenance espagnole ou portugaise. Quelques années plus tard, en 1884, Pedro de Madrazo mit au jour des archives de Simancas, datant de 1515, et découvrit que ce Michiel était un peintre flamand et était au service d’Isabelle la Catholique. Trois ans plus tard, Carl von Justi compara les inventaires de cette dernière et de Marguerite d’Autriche et en conclut que l’artiste était le même. Ensuite, en 1914, Max J. Friedländer tenta d’attribua quelques tableaux et, en 1929, il réussit à identifier une œuvre de Michel et avec l’aide de quelques historiens de l’art, il put attribuer encore d’autres tableaux à cet artiste. Mais qu’en est-il de sa biographie ? Paul Johansen, en 1940, en proposa une dans les grandes lignes et il fut l’historien qui découvrit que ce peintre venait de Reval (Tallinn d’aujourd’hui). Puis, en 1970, Else Kai Sass amplifia cette biographie en s’appuyant sur des sources d’archives et, pour finir, dans l’ouvrage dédié à ce peintre, Jazeps Trizna en 1976 analysa toute sa vie et fit une liste des œuvres attribuées et certaines ainsi que celles perdues et celles qui restent encore floues.
Les sources principales qui ont permis aux historiens et historiens de l’art de reconstruire ses déplacements et sa vie artistique sont les archives de Lübeck, Tallinn, Simancas, Lille et Paris[2].
Michel Sittow fut un peintre qui voyagea beaucoup et fréquenta plusieurs milieux dans l’Europe du Nord. Tout d’abord, il faut comprendre son apprentissage et son début de carrière, puis, l’artiste se retrouve en Espagne, ensuite, un moment en Angleterre et aux Pays-Bas. Il rentrera dans sa ville natale, Reval, et retournera travailler à la cour, plus précisément pour le roi de Danemark, puis il passera en Flandres et rejoindra l’Espagne pour revenir, ensuite, aux Pays-Bas et rentrer définitivement à Reval.

[1] Jazeps Trizna, Michel Sittow – peintre revalais de l’école brugeoise (1468-1525/1526), Bruxelles, Centre national de Recherches « Primitifs flamands », 1976, p. VII.

[2] Ibid., p. XI

Enfance à Reval (1468-1484)

Michel Sittow est né, selon Trizna, vers 1468, lors de la fabrication illégale de bière par son père[1]. Mais pourquoi cette date ? Il semblerait que l’enfant fut envoyé faire son apprentissage à l’âge de 15 ans et aurait eu entre 18 et 19 ans lorsque son beau-père jugea que Michel Sittow était capable de subvenir à ses besoins vers 1486/87.
Son père apparaît dans les archives de Reval sous le nom de Claes van der Suttow, mais bien avant, vers 1454, il apparaissait sous le nom de Clawes Meler, indiquant son métier de peintre. Il semblerait que le père de Michel Sittow n’était pas natif de Reval mais d’une autre ville et serait arrivé dans cette ville au XVe siècle, car elle était prospère et faisait partie de la Hanse depuis le XIVe siècle. De plus, avec Riga, centre commercial et culturel, elle était l’une des villes les plus importantes des régions baltiques. Cette importance est notamment due à l’« […] explosion de l’influence occidentale vers l’Est […] »[2] et permit d’avoir l’accès aux relations commerciales entre Bruges, Gand et Ypres à travers les ports de Livonie, de Riga et de Reval. Donc, le père de l’artiste, Clawes van der Suttow, d’après son nom, pourrait très probablement venir du village Zittow en Mecklembourg.
Le gout pour l’art se développa chez le jeune Michel à travers le métier entrepris par son père, à savoir, peintre et sculpteur, mais aussi par l’épanouissement de la vie artistique à Reval grâce aux rapports étroits avec la Flandre qui apportaient des modèles et des sources d’inspirations pour les ateliers germaniques et baltiques. Il faut ajouter aussi l’influence qu’eut son oncle Dominicus Sitau, dominicain de l’église de Reval, car il connaissait la peinture brugeoise, il en commandait des œuvres autour de 1481 et put donc inciter son neveu à partir pour Bruges, où il fit son apprentissage.

[1] Ibid., p. 1.

[2] Ibid., p. 2.

Michel Sittow, un portraitiste de cour

Apprentissage à Bruges et le début de sa carrière (vers 1484-1491)

A cette époque, comme il a été dit plus haut, Michel Sittow devait être âgé de 14 ou 15 ans, âge d’apprentissage. Il réalisa probablement le voyage avec un ami ou une connaissance de la famille Sittow ou avec des moines dominicains ou encore avec des commerçants qui l’aidèrent « […] à s’installer dans ce foyer commercial et artistique qu’était la ville de Bruges à cette époque […] »[1]. C’est donc en 1484 que le futur portraitiste de cour arrive à Bruges, ville qui jouissait de la rencontre de « […] commerçants, des banquiers et d’autres hommes d’affaires de tous les coins du monde, mais aussi les artisans ou artistes, les peintres […] »[2]. L’entrée dans l’atelier de Hans Memling n’est pas attestée et aucun tableau authentifié de la période brugeoise n’est connu de Michel Sittow. Néanmoins, le contexte historique nous permet de proposer un apprentissage dans l’entourage de ce maître brugeois. La seule indication précise de cette période, c’est qu’autour de 1485/1486 l’artiste était capable de subvenir à ses besoins en exécutant des travaux rémunérés. Malheureusement, nous n’avons aucun document qui permet d’apprendre ce que Sittow fit après son apprentissage, mais P. Johansen, qui décèle des traits français dans les peintures de l’artiste, pense qu’il fit un séjour en France où il put déjà rencontrer Marguerite d’Autriche, sa future protectrice[3]. Mais cette hypothèse ne semble pas convaincante, car les quelques traits français ne semblent pas suffire à affirmer ce voyage et, de plus, Marguerite d’Autriche, âgée de 8 ans à ce moment-là, ne semble pas avoir commandé des œuvres. D’après les calculs de Trizna, depuis 1445, la durée d’apprentissage d’un métier à Bruges durait quatre ans, donc « en admettant que cette durée soit restée à peu près la même en y ajoutant un an au moins de compagnonnage, nous pouvons conclure que Sittow resta à Bruges jusqu’en 1489 »[4]. Ne possédant aucune œuvre authentifiée de cette période, en s’appuyant sur les œuvres postérieures, nous pouvons observer que l’artiste se spécialisa dans le portrait, les petits panneaux de dévotion et les diptyques. Il est donc probable que Michel Sittow soit « […] l’auteur de certains portraits et Madones de l’école brugeoise qu’on attribue hypothétiquement à Memlinc ou qu’on groupe autour de tel ou tel anonyme»[5]. Par conséquent, il a sûrement réalisé des œuvres ressemblant fortement à celles de son maître probable, en qualité et en style, telle la Vierge à l’Enfant à la pomme du musée de Budapest qui semble être une copie de la Vierge à l’Enfant du Diptyque de Marteen van Nieuwenhove. Il se peut donc que l’artiste ait continué à travailler à Bruges jusqu’en 1491, en acquérant ainsi sa réputation dans l’art du portrait. D’autres documents d’archives signalent, vers 1486, la présence de plusieurs miniaturistes dans la ville, tels que Alexandre Berning, Didier de la Rivière, Jean Moke, Jean van den Moore, Adrien de Raet ou Vrelant et Nicolas de Coutre et il se peut que Michel Sittow ait pu les rencontrer pendant cette année-là, avant qu’il ne parte en Espagne dès l’année 1492.

Il semblerait que d’après les attributions de certaines œuvres à notre artiste, il aurait réalisé un Portrait de femme, se trouvant aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne, car son style, si l’on prend en considération la Vierge à l’Enfant et la pomme, semble être « dans les limites du possible »[6] et le tableau a été réalisé autour de 1489 et 1491, après son apprentissage.

[1] Ibid., p. 7.

[2] Ibid., p. 8.

[3] Ibid., p. 9.

[4] Idem.

[5] Ibid., p. 10.

[6] Ibid., p. 99.

Vierge à la pomme (M.Sittow); Diptyque de Maarten van NieuwenhovenVierge à la pomme (M.Sittow); Diptyque de Maarten van NieuwenhovenVierge à la pomme (M.Sittow); Diptyque de Maarten van Nieuwenhoven

Vierge à la pomme (M.Sittow); Diptyque de Maarten van Nieuwenhoven

Michel Sittow, un portraitiste de cour

A la cour d’Isabelle de Castille (1492-1504)


Les documents espagnols de Simancas signalent le nom d’un peintre « […] Michel ou Miguel Sitiun, Situ ou Syttou […] »[1] qui était au service d’Isabelle la Catholique de 1492 à 1504, mais il n’apparait pas dans les livres de comptes de la maison royale avant 1495. Certains historiens pensent que pendant les premières années il aurait été envoyé au Portugal pour réaliser des portraits de la famille royale. L’autre hypothèse proposée est celle selon laquelle Michel Sittow serait le même artiste que Melchior Alemán. Ces deux peintres « […] seraient entrés au service d’Isabelle la Catholique la même année et tous deux auraient reçu le même salaire annuel de 50'000 maravédis et pour tous deux la mention du nom dans les documents d’archives présente des lacunes inexplicables »[2]. Pour expliquer cela il faudrait interpréter les différents noms d’artistes comme étant le même Michel Sittow, car entre 1498 et 1501, il est nommé de trois manières différentes : en 1498 il est « Melchior Alemán », en 1499 et en 1500 il est « el dicho Melchior » et, en 1501, il est « el dicho Michel Alemán ». Mais pour rapprocher ces noms à notre peintre il faut noter la rectification que fit le trésorier Gonzalo de Baeza, en 1495, en employant le nom de Miguel Situ et dans les années suivantes, il est nommé Michel et Miguel, toujours en signalant sa profession de peintre.
Le déplacement qu’entreprit l’artiste de Flandres en Espagne peut être expliqué par le goût des Espagnols pour l’art flamand et il est possible de voir certains tableaux des grands maîtres dans leurs collections, tels que Van der Weyden, Dirk Bouts, Hans Memling, Gérard David et Jérôme Bosch. Mais ce déplacement a été expliqué par C. von Justi par l’alliance que recherchait le futur empereur Maximilien Ier avec le Roi et la Reine d’Espagne, en 1488, contre Charles VIII de France et cette rencontre se fit à Valladolid. Ces négociations d’ordre politique et familial durèrent une quarantaine de jours et se terminèrent par un mariage entre « […] l’archiduc et régent des Pays-Bas Philippe le Beau avec la fille des Rois Catholiques, Jeanne la Folle, et, d’autres part, celui du fils des souverains espagnols, Juan, avec la princesse Marguerite d’Autriche, fille de Maximilien et future gouvernante des Pays-Bas »[3]. Puis, la guerre de Grenade se terminait à cette époque et les Maures abandonnèrent la Péninsule Ibérique. C’est donc vers 1492 que les Rois Catholiques firent leur entrée « […] dans la ville de Boadbil, le dernier roi maure d’Espagne »[4]. Par conséquent, dans ce climat politique, économique et spirituel, Michel Sittow vint en Espagne, pays prospère et défenseur de l’art et de la chrétienté, pour réaliser des portraits, car il en fallait pour la représentation et le prestige de la famille royale. Son style se développa notamment dans ce milieu artistique où les peintures flamande, rhénane et italienne étaient présentes dans la Péninsule Ibérique, puis grâce aux « déplacements constants d’une ville à l’autre de la cour des Rois Catholiques, Sittow eut de nombreuses occasions de voir les œuvres des artistes italiens »[5]. Le portraitiste a pu aussi voir la peinture française, car l’Espagne n’était pas étrangère à cet art. Donc ces déplacements de la cour espagnole permirent aussi d’aller à Tolède, où des documents le signalent en 1501, et de voir des œuvres de Juan de Borgoña et plus précisément les peintures murales du cloître de cette ville, réalisées en 1495.
Vers la fin de son service à la cour d’Isabelle la Catholique, Michel Sittow est connu pour être entré au service de Philippe le Beau, au moment où ce prince et sa femme, Jeanne la Folle, vinrent en Espagne au début de 1502. Ils furent reçus à Tolède où se trouvait le peintre et au mois de décembre ils décidèrent de rentrer en Flandres. Il se pourrait qu’au moment du départ, le peintre aurait rejoint, selon P. Johansen, Philippe le Beau pour quitter la cours espagnole. Donc, il se pourrait que cette visite du prince en Espagne soit à l’origine du départ de Michel Sittow pour l’Angleterre. Mais, il est plus probable que la Reine Isabelle la Catholique ait envoyé son peintre dans ce pays et que le retour de Philippe le Beau en Flandre présenta une occasion pour faciliter son voyage.
Le portraitiste garda son titre de « pintor de su alteza » de 1492 à 1504 et dut le partager avec Juan de Flandes à partir de 1496. Au cours du règne des Rois Catholiques, il y eut bien sûr d’autres peintres, dont des espagnols et des étrangers, qui reçurent plusieurs commandes, mais ils n’appartenaient pas à la maison royale, comme notre peintre et son compagnon. Ce qui permet de dire que Michel Sittow est le peintre préféré de la cour espagnole, c’est la somme qu’il reçut par rapport à son collègue qui obtint 20'000 maravédis annuels contre les 50'000 de Michel Sittow. D’ailleurs, ce peintre se plaçait à la cinquième place des employés les mieux payés par la Reine. Il se pourrait qu’il ait réalisé non seulement des tableaux de dévotion et des portraits, mais aussi d’autres petits travaux, tels que des décors pour les festivités et l’aménagement de résidences royales.
Concernant les œuvres qu’il réalisa, Michel Sittow ne laissa aucune indication. On peut penser notamment à des portraits des membres de la famille royale qui servaient pour les projets de mariages et des noces des enfants de la Reine ainsi que les alliances et les traités politiques et commerciaux. C’est par l’échange de portrait que l’évènement ou les rencontres se faisaient. A travers les archives, il est possible d’obtenir l’attestation d’une commande de la Reine Isabelle la Catholique faite à Michel Sittow et Juan de Flandes, en 1500. Il s’agit de plusieurs petits panneaux assemblés pour réaliser un retable de l’Oratoire d’Isabelle la Catholique. Michel Sittow réalisa avec sûreté deux petits panneaux – l’Assomption et l’Ascension – premières œuvres attestées de sa carrière. L’ensemble de ce retable était constitué de quarante-sept petits panneaux de même grandeur (21 x 16 cm). L’exécution du retable fut faite entre 1496 et 1504. Dans ces deux panneaux que l’artiste réalisa, nous ne pouvons plus rattacher les éléments brugeois à ces œuvres, car les couleurs sont expressives, il y a une recherche poussée de la profondeur de l’espace, et un souci pour une composition légère, et des accessoires secondaires peu présents. Pour expliquer ce style, plusieurs historiens de l’art l’ont rapproché « […] tantôt du Maître de Moulins et des miniatures ganto-brugeoises, comme le Maître de Dresde et le Maître de Marie de Bourgogne, tantôt de Hugo van der Goes et de Jean Gossart »[6]. Mais la comparaison avec le Maître de Moulins semble très légère, car on n’y retrouve que la recherche de la lumière et l’emploi de certaines couleurs, donc il faudrait mettre de côté ce rapprochement. D’après Eisler, l’artiste réalise dans son Assomption une composition comparable à celle d’une vaste pièce d’autel, maintenant à la National Gallery de Washington, peinte à Bruges, au moment de l’arrivée de Sittow, par le Maître de la Légende de sainte Lucie[7] et son art ne lui était pas inconnu, car l’oncle du jeune peintre avait passé la commande de plusieurs œuvres pour l’église dominicaine de Reval. Mais cette comparaison est purement iconographique et non pas stylistique, comme le pense Eisler[8]. Il faut voir dans ces petits panneaux l’application des recherches de Jan van Eyck, tel le dégradé de l’atmosphère vers une couleur bleue. Un autre petit panneau du retable a été rapproché à Michel Sittow et il s’agit du Couronnement de la Vierge, mais il semble que dans les visages il y aurait un mélange de la main de Sittow et de Juan de Flandes. Parmi les portraits royaux, aucun n’a été attesté, mais ils auraient été réalisés à la manière de la Femme inconnue du musée de Vienne et parmi les œuvres que les historiens de l’art lui attribuent, celui d’une Princesse espagnole, conservé à la galerie Cramer de La Haye, représenterait en réalité la reine Isabelle la Catholique et serait, par conséquent, l’une de ses premières œuvres à la cour espagnole. Le dernier portrait cité est très proche des œuvres attestée plus tard par Michel Sittow. Il désire dans le portrait « […] souligner l’individualité du visage en animant ses volumes, ce qui se voit nettement dans le modelé du menton, de la bouche, des yeux et du nez »[9] et ce portrait annonce notamment le Portrait de Catherine d’Aragon.

[1] Ibid., p. 13.

[2] Ibid., p. 15.

[3] Ibid., p. 17.

[4] Ibid., p. 18.

[5] Ibid., p. 23.

[6] Ibid., p. 27.

[7] Colin T. Eisler, « The Sittow Assumption », Art News, septembre 1965, p. 34.

[8] Ibid., p. 37.

[9] Trizna, op. cit., p. 29.

l'Assomption et l'Ascension de Michel Sittow; Le Christ et la Canaéenne et La Résurrection de Lazare de Juan de Flandes; l'Assomption du Maître de la Légende de sainte Lucie; Couronnement de la Vierge, probablement de Michel Sittow. l'Assomption et l'Ascension de Michel Sittow; Le Christ et la Canaéenne et La Résurrection de Lazare de Juan de Flandes; l'Assomption du Maître de la Légende de sainte Lucie; Couronnement de la Vierge, probablement de Michel Sittow.
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l'Assomption et l'Ascension de Michel Sittow; Le Christ et la Canaéenne et La Résurrection de Lazare de Juan de Flandes; l'Assomption du Maître de la Légende de sainte Lucie; Couronnement de la Vierge, probablement de Michel Sittow.

Michel Sittow, un portraitiste de cour

Voyage en Angleterre (1502-1505) et au service de Philippe le Beau (1505/1506)


Michel Sittow quitta l’Espagne, en 1502, avec Philippe le Beau et avant d’aller en Angleterre, ils s’arrêtèrent à Lyon pour négocier un traité avec Louis XII[1]. Entre ces rencontres, Philippe le Beau restait avec sa sœur qui se mariait pour la deuxième fois avec Philibert de Savoie à Bourges entre le 11 et 24 avril et de nouveau entre le 20 juin et le 3 juillet 1503[2]. Il se pourrait que pendant ce temps, l’artiste qui le suivait, a pu réaliser un portrait de son futur beau-frère, et Marguerite d’Autriche n’était pas étrangère au peintre. Ensuite, le voyage de Michel Sittow en Angleterre doit être pris en considération, car Gustav Glück lui attribue le Portrait de Henri VII d’Angleterre qui n’a pu être peint qu’à la cour de ce roi. Une inscription en bas du tableau atteste qu’il fut commandé le 29 octobre 1505 par Hermann Rinck, ambassadeur ou agent de l’empereur des Romains Maximilien Ier[3]. Le lien entre ce dernier et Henri VII est dû à l’aide militaire qu’apporta Henri VII à la demande de Maximilien Ier et puis par l’offre en mariage de sa fille Marguerite, veuve après la mort de Philibert de Savoie en 1504. Donc avant d’être reçu par le Roi d’Angleterre, Hermann Rinck se présenta chez Catherine d’Aragon, princesse de Galles et lui révéla le projet de mariage entre Henri VII d’Angleterre et Marguerite d’Autriche et lui présenta les tableaux des deux futurs époux, lui arrachant l’exclamation suivante : « Michel les aurait peints mieux et d’une manière beaucoup plus sûre et plus parfaite »[4]. Il se pourrait que l’artiste se serait trouvé en Angleterre et expliquerait la réaction qu’eut Catherine d’Aragon. De plus, il se peut que le peintre ait réalisé plusieurs œuvres pour cette dernière, dont son portrait qui est conservé au Musée de Vienne. Au moment de la proposition de mariage, Michel Sittow se trouvait soit aux anciens Pays-Bas soit en Angleterre, ce qui est plus probable, car si l’artiste se trouvait à Malines ou à Bruxelles, Hermann Rinck n’aurait pas eu l’obligation d’apporter le portrait de la Duchesse de Savoie à Henri VII d’Angleterre. Le Portrait de Catherine d’Aragon n’a pu qu’être peint en Angleterre, car la Princesse avait plus de seize ans lorsqu’elle partit d’Espagne. Jusqu’en 1915, on accepta que ce portrait était celui d’une jeune princesse, mais Friedländer s’appuya sur la lettre « K » sur le collier et de la rose anglaise et y proposa de reconnaître Catherine d’Aragon, « […] fille cadette des Rois Catholiques, née en 1485, épouse en 1501 du prince de Galles Arthur, veuve au début de 1502, ensuite, depuis 1509, femme d’Henri VIII d’Angleterre »[5]. Mais la comparaison de la rose avec le portrait du prince Arthur au château de Windsor n’est pas très convaincante, c’est seulement physionomiquement qu’elle ressemble à la jeune fille agenouillée près de son père dans le Sermon sur la montagne de Juan de Flandes. Michel Sittow semblerait avoir peint une Marie-Madeleine sous les traits de Catherine d’Aragon et selon Friedländer elle servit aussi de modèle pour la Vierge du Musée de Berlin qui fait partie du diptyque de Diego de Guevara[6]. Revenant au collier, Frinta associe les lettres à un E et un L et renverrait à Evert et Lippe (Evert van der Lijpe), l’une des familles les plus importantes de Reval aussi par la représentation de deux colliers décorés finement[7], et, par conséquent, ce portrait ne put être réalisé durant sa période anglaise, mais à Reval. Frinta commit une erreur, car il aurait fallu se concentrer sur le pourtour du décolleté de la figure représentée, car des coquillages, plus précisément des coquilles saint Jacques, le décorent et ces dernières renvoient au symbole de la famille des Aragon, donc, mis à part le K et la rose, les coquillages nous mènent bien à Catherine d’Aragon, fille des rois d’Espagne.
Concernant les déplacements de Michel Sittow pendant cette période, l’artiste, comme il a été dit, fut au service d’Isabelle la Catholique jusqu’à la fin de 1504, ensuite, il est attesté à Malines en 1505, puis il est attesté à Brabant à la fin de la même année ou au début de 1506 ; enfin, arrivé à Reval vers le milieu de cette année, « […] il déclare qu’étant au service de l’archiduc Philippe le Beau, il avait obtenu un congé et était venu dans sa ville natale pour régler, avec son beau-père, la succession de sa mère »[8]. Il se peut donc que ce voyage en Angleterre fut favorisé par Isabelle la Catholique afin qu’il réalise un portrait de sa fille, pour l’éventualité d’un remariage, et de son nouveau fiancé Arthur prince de Galles. Mais son voyage avec l’Archiduc d’Autriche fut ralenti d’un an et ne put donc retourner à temps en Espagne, en 1504, avant la mort de la Reine de Castille. Donc le Portrait de Catherine d’Aragon fut exécuté vers 1503-1504 et présente la figure de trois quart, il souligne l’importance de celle-ci par une recherche subtile de l’âme et permet ainsi d’animer ce portrait. Revenant au Portrait d’Henri VII d’Angleterre, chronologiquement et stylistiquement il se situe à la même période que celui du Portrait de Catherine d’Aragon et d’après Trizna, il « […] se rapproche très fortement de celui de Christian II de Danemark, réalisé quelque dix ans plus tard »[9]. Le portrait de Henri VII fut envoyé à Malines, vers 1505, chez Marguerite d’Autriche et est mentionné dans les inventaires des peintures de cette dernière en 1516 et en 1523.
Après la mort d’Isabelle la Catholique, il est fort probable que Michel Sittow entra au service de Philippe le Beau, mais apprenant la mort de sa protectrice, l’artiste se trouvait soit encore en Angleterre, soit aux anciens Pays-Bas dans le but de revenir en Espagne. Mais ce qui parait plus simple pour le peintre c’est d’attendre le retour d’Hermann Rinck en Angleterre, pour ensuite entrer au service de Philippe le Beau. En effet, l’arrivée de Rinck, d’après les documents, date de mai-juin 1505 en Angleterre, et à ce moment-là il fut chargé d’exécuter le portrait du roi Henri VII le 29 octobre 1505 et donc, il prend le portrait avec lui et le remet à Marguerite d’Autriche qui se trouvait dans les anciens Pays-Bas. Pour finir, il entre au service de Philippe le Beau durant cette année, à Bruxelles, mais obtient un congé, car le 17 novembre, l’Archiduc se dirige à Middelbourg avec sa famille et les membres de sa cour afin de recevoir la couronne de Castille. Michel Sittow, par conséquent, saisit cette occasion pour pouvoir rentrer à Reval et régler la question de son héritage. Mais avant de retourner dans sa ville natale, l’artiste a probablement réalisé le Diptyque de Diego de Guevara, car cette personne était au service de Philippe le Beau pendant ces années-là et le style de Michel Sittow nous fait dater les deux panneaux avant 1515, date proposée par Trizna, car la peinture est sèche à la manière du Portrait de Catherine d’Aragon, la figure commence à se détacher et à prendre plus de monumentalité ainsi que plus d’expressivité, par le mouvement de la main, présent dans les deux panneaux, et les circonstances de la rencontre entre Diego de Guevara et le peintre avaient été notamment favorisées par l’intermédiaire de Philippe le Beau, de plus, le conseiller et ambassadeur de ce dernier ne se trouvait plus dans les Pays-Bas en 1506. Il se peut que le panneau de la Vierge à l’Enfant et l’oiseau fut réalisé l’année suivante, puis envoyé plus tard à son propriétaire.

[1] Martin Weinberger, « Notes on Maître Michiel », The Burlington Magazine 90, n° 546, Septembre 1948, p. 252.

[2] Idem.

[3] Gustav Glück, « The Henry VII in the National Portrait Gallery », The Burlington Magazine for Connoisseurs 63, n° 366, septembre 1933, p. 105.

[4] Trizna, op. cit., p. 31.

[5] Ibid., p. 32.

[6] Le portrait dans l’art flamand de Memling à Van Dyck, Paris, Orangerie des Tuileries, 21 octobre 1952-5 janvier 1953, Bruxelles, Edition de la Connaissance, 1952, p.43.

[7] Mojmír Frinta, « Observation on Michel Sittow », Artibus et Historiae 30, n°60, 2009, pp. 150-151.

[8] Trizna, op. cit., p. 34.

[9] Ibid., p. 36.

Portrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de GuevaraPortrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de Guevara
Portrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de GuevaraPortrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de GuevaraPortrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de Guevara
Portrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de GuevaraPortrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de Guevara

Portrait probable de Philibert de Savoie (copie du XVIIe siècle); Portrait de Catherine d'Aragon; détail du Sermon sur la Montagne de Juan de Flandes; sainte Marie Madeleine; Portrait de Christian II de Danemark; Diptyque de Diego de Guevara

Michel Sittow, un portraitiste de cour

Retour dans sa ville natale (1505/1506 – 1514)


La mère de Michel Sittow, pendant l’absence de son fils, se remaria en 1485 avec un immigrant néerlandais, nommé Diderick van Katwijk. Après la mort de son premier mari, en 1482, la mère de Sittow n’était pas capable d’entretenir l’atelier de celui-ci et permit à son nouveau mari de s’en charger et s’appropria tous les matériaux. La mère de Michel Sittow mourut en 1501 et son beau-père pris possession de tous ses biens. L’artiste arriva en 1505 à Reval et « étant convaincu que ses droits d’héritier légitime n’avaient pas été respectés, Michel Sittow en appela à Lübeck où se trouvait l’instance suprême de la justice pour son pays »[1]. C’est donc deux ans plus tard que l’artiste eut gain de cause et « […] obtint les bijoux de sa mère, une partie de l’argent qu’elle avait épargné et les maisons »[2]. Un panneau central d’un retable de l’église de Marie de Lübeck, représentant La Nativité, lui a été attribué par Friedländer[3], proposant la date de 1518, mais il semblerait plus judicieux de proposer une date autour de 1505-1506, car il n’y a pas de sécheresse dans ce panneau et les visages sont encore très ovales, un peu comme ses premières œuvres, mais il semble, pour ma part, que cette Nativité ne soit pas de la main de l’artiste, car les membres des personnages sont fins, les plis des anges ne sont pas comparables à ceux des anges de l’Assomption de l’Oratoire d’Isabelle de Castille et il n’utilise pas des lumières trop fortes dans ses œuvres, mais plutôt une lumière douce et enveloppante.
Mis à part le problème familial, Michel Sittow voulut s’installer à Reval et avoir son propre atelier, mais d’après les sources d’archives, « […] tous les artisans venant de l’extérieur et désireux de s’établir à Reval, devaient accomplir un an de compagnonnage avant de devenir de plein droit maîtres indépendants dans leur métier […] »[4]. C’est donc le 18 octobre 1507 qu’il finit ce stage et entre-temps le 25 décembre 1506, Philippe le Beau mourut à Bourges et libéra le peintre de ses services, permettant probablement de réaliser cette année de compagnonnage sans avoir d’autres obligations. Ce n’est qu’en 1509, que l’artiste se marie et prouve qu’il voulut s’installer définitivement à Reval. Entre temps, le 24 décembre 1507, il entra dans la guilde de Saint-Canut et obtint aussi le droit de bourgeoisie. Probablement, afin d’entrer dans la guilde, Michel Sittow dut réaliser une œuvre, comme il était d’usage, et réaliser peut-être un autoportrait[5]. En effet, Richardson, propose d’y voir son autoportrait, car les artistes durant le XIVe et le début du XVe siècle portaient un béret rouge[6]. Concernant le style de ce portrait, nous retrouvons la même attention pour les effets de lumières doux, un rendu fidèle des matières, telle la fourrure du manteau et le rendu fidèle des effets de chairs. Pour ma part, ce portrait ne me semble pas tout à fait de la main du peintre revalais, car les cheveux, le front et le béret rouge sont réalisés avec une légère maladresse.
Il semblerait que le style de Michel Sittow ne plaisait pas au début, car il avait des manières de peintre de cour raffiné. Les bourgeois revalais avaient besoin d’artistes qui pouvaient « […] embellir les édifices publics et accomplir d’autres tâches d’ordre pratique »[7]. De plus, Reval était en guerre contre la Russie qui tentait d’élargir son accès à la Mer Baltique, par conséquent, dans ce climat l’art n’était pas mis en valeur, il était mis de côté. On ne connait pas les exécutions qu’il fit pendant ces années, mais on sait que sa réputation grandissait peu à peu et il eut un élève nommé Borchardt. D’après quelques documents, avant 1514, il réalisa une commande pour l’église de Sjundea, en Finlande, comprenant quelques images pour orner un autel, et , probablement, le Portrait d’un homme du Mauritshuis de La Haye, car sa manière sèche, se trouvant déjà sur le Portrait de Catherine d’Aragon ainsi que sur le Diptyque de Diego de Guevara, permet de situer ce tableau durant cette période-là, de plus, la provenance de ce portrait parle aussi en sa faveur, car le tableau appartenait à la collection von Liphart qui se trouvait à Tartou en Estonie et il se peut que ce tableau fut réalisé pour un bourgeois de la ville de Reval. Concernant les tendances artistiques à Reval, elles ne changèrent pas depuis le départ de Sittow, en 1484. Quelques églises, couvents et édifices publics acquirent des œuvres, mais aucune ne montre l’influence de la Renaissance italienne.
Michel Sittow, en 1512, quitta Reval encore une fois et Johansen pense que ce départ était lié à la peste de cette année qui emporta la femme du peintre. Avant son départ, il confia son atelier « […] au fondés de pouvoir qui s’occupèrent même de quelques affaires courantes au nom de Sittow »[8]. Il faudrait expliquer ce départ comme un simple voyage d’affaires, car l’artiste était attendu au Danemark pour exécuter le portrait de Christian II et pour recevoir son salaire de ses années passées au service d’Isabelle la Catholique.

[1] Ibid., p. 40.

[2] Idem.

[3] Max J. Friedländer, « Master Michiel », Bulletin of the Bachsitzt Gallery, 1935, p. 28.

[4] Trizna, op. cit., p. 41.

[5] Mokmir Frinta, op. cit., p. 151.

[6] E. P. Richardson, « Portrait of a Man in a Red Hat by Master Michiel », Bulletin of the Detroit Institute of Arts XXXVIII, n°4, 1958-59, p. 83.

[7] Trizna, op. cit., p. 43.

[8] Ibid., p. 44.

Portrait d'homme; Nativité
Portrait d'homme; Nativité

Portrait d'homme; Nativité

Michel Sittow, un portraitiste de cour

Voyage au Danemark, aux anciens Pays-Bas et en Espagne (1514-1517)


Un petit tableau représentant le roi Christian II dans le musée des Beaux-Arts de Copenhague aurait été attribué au tout début à Bernard van Orley qui avait été chargé de réaliser « […] six portraits de la famille de la nouvelle reine pour les envoyer à Copenhague »[1]. Mais il semblerait que cet artiste n’ait jamais quitté Bruxelles pour le Danemark, donc M. Justi attribua le portrait de Christian II à Jean Gossart, dit Mabuse, mais de nouveau cette attribution ne collait pas. Ce fut un document que G. Falck découvrit dans les Archives danoises qui faisait probablement référence à ce tableau, car « […] un rapport du douanier Hans Pedersen, écrit le 1er juin 1514 du port d’Elseneur au Roi, à Copenhague […] »[2] donne des informations concernant le peintre : « … j’envoie à Votre Grâce le peintre au sujet duquel Votre Grâce m’avait écrit aujourd’hui, maître Michel… »[3]. Ce document prouve qu’à cette période, un peintre revalais nommé Michel était attendu à la cour danoise, donc ce fut bien notre Michel Sittow qui exécuta ce portrait. Durant cette année 1514, le mariage d’Isabelle d’Autriche, fille de Philippe le Beau, avec Christian II de Danemark fut célébré à Bruxelles, le 11 juin 1514, puis de nouveau célébré dans la cathédrale de Copenhague au mois d’août. La jeune mariée était sous la protection de sa tante Marguerite d’Autriche et la présence de Michel Sittow n’était pas inconnue de la gouvernante des anciens Pays-Bas. Le contrat de mariage signé, Marguerite d’Autriche demanda probablement un portrait du futur époux de sa nièce et demanda de le faire réaliser par un peintre de qualité et de confiance, c’est donc en informant le Roi de Danemark le peintre à choisir pour la réalisation de son portrait que Michel Sittow arriva à sa cour. De plus, les relations politiques et commerciales liaient le Danemark à la Livonie, plus qu’aux Pays-Bas, c’est probablement dû à ces conditions que l’artiste ne refusa pas l’invitation. Le peintre ne resta pas longtemps au Danemark, probablement son seul but était de ne réaliser que le portrait de Christian II, c’est donc après l’avoir réalisé qu’il arriva aux Pays-Bas en apportant probablement le portrait lui-même à Malines, comme Erik Valkendorf, ambassadeur danois au Pays-Bas, le note le 10 juillet 1515.
D’après la radiographie du Portrait de Christian II de Danemark, il a été découvert un autre personnage sous cette peinture. Connaissant l’entourage de Michel Sittow, il ne peut s’agir que d’une personne de la famille des Habsbourg, aux anciens Pays-Bas. D’après E. K. Sass, il s’agirait du « […] jeune Charles-Quint, âgé de 15 ans à peine […] »[4] et pour une raison inconnue le peintre l’aurait recouvert par le portrait de Christian II. Cette hypothèse n’est pas très convaincante, il faudrait plutôt imaginer l’ébauche du portrait de Philippe le Beau, car Sittow prit congé pour un moment avant d’apprendre la mort de son protecteur, il semblerait donc qu’il abandonna le projet de ce portrait et le recouvrit de celui de Christian II. Un autre argument nous permettant de dire qu’il s’agissait du portrait de Philippe le Beau, c’est celui de la présence du collier de la Toison d’Or qui n’a aucune ressemblance avec celui connu de Charles-Quint, mais il faudrait le comparer à celui de son père, comme celui sur le portrait du Kunsthistorisches Museum de Vienne. De plus, il n’y aurait aucun motif pour détruire le portrait de Charles-Quint au moment où il devient souverain. On peut donc affirmer que le Portrait de Christian II est bien de la main de Michel Sittow, notamment par la ressemblance avec le Portrait d’Henri VII, avec « […] les mains posées sur le bord inférieur du panneau ; le même dessin et le même modelé du nez, des yeux […], de la bouche ; le même souci du détail pour rendre la matière palpable, faire sentir son volume […] ; le même désir de rehausser la distinction et la noblesse de ses personnages sans édulcorer pourtant les traits de leurs visages qui reflètent les particularités de leurs caractères […] »[5]. Pour terminer cette comparaison, on peut encore citer la même forme cintrée des panneaux et un fond bleu verdâtre.
Vers la fin du mois d’août 1515, Michel Sittow partit des Pays-Bas jusqu’en Espagne, mais cette fois non pas pour entrer à la cour espagnole, mais pour obtenir ses arriérés de 1503 d’une valeur de 116'666 maravédis. C’est donc le 28 novembre 1515, que l’artiste se retrouve à Valladolid et est déterminé à quitter la Péninsule Ibérique le plus rapidement possible pour retourner en Flandre autour du début de l’année 1516.
Le peintre entre au service de Marguerite d’Autriche, au moment de son passage dans les anciens Pays-Bas pour attendre le restant de la somme que l’Espagne lui devait par l’intermédiaire du mandat de Charles-Quint et il se peut que Michel Sittow soit aussi entré au service de ce dernier. Mais, dans les documents restants, il est sûr qu’il s’arrêta vers la fin de 1514 ou au début de 1515 aux Pays-Bas, en attendant ses arriérés sans entreprendre le long voyage jusqu’en Espagne. Puis, ne recevant rien en retour, il décida d’y aller personnellement vers le milieu de 1515 et rentra aux Pays-Bas au début de 1516 afin d’attendre le dernier quadrimestre, « […] comme le précisait la cédule de Ferdinand le Catholique »[6]. Mais, ne recevant toujours rien et n’ayant pas de patience, l’artiste passa chez Charles-Quint pour intervenir en sa faveur, mais ne reçut son argent qu’au début de 1517, pour pouvoir repartir à Reval quelques mois plus tard. Pendant ces années, pour subvenir à ses besoins Michel Sittow entra peut-être au service de Marguerite d’Autriche sans difficulté. C’est à Malines que se trouvait la résidence de la Gouvernante des Pays-Bas et à cette époque la ville était active, calme et une cour cosmopolite l’entourait, constituée notamment de mécènes comme « Philippe, Adolphe et Anne de Bourgogne, Antoine de Lalaing, Guillaume de Croy, Jean Carondelet, Jérôme Busleyden et tant d’autres »[7], de plus un goût italianisant s’installa et Sittow put probablement rencontrer plusieurs artistes italiens.
Durant cette période, l’artiste réalisa le panneau de Sainte Madeleine. Cette figure est plus dégagée et développe un langage plus expressif, probablement sous l’influence de l’art italianisant, comme les tableaux de Jean Gossart ou Jacopo de Barbari, peintres à la cour de Marguerite d’Autriche. Ce panneau dévotionnel, probablement un diptyque, fut réalisé durant cette période d’attente de salaire et peut très bien lui être attribué, car la morphologie de ce personnage est comparable au Portrait de Catherine d’Aragon et de la Vierge à l’Enfant et l’oiseau du diptyque de Diego de Guevara. Malheureusement, aucune autre œuvre de la période malinoise n’est connue. Il a probablement peint les « […] portraits des enfants de Philippe le Beau, en vue de leur mariage, et de Marguerite d’Autriche elle-même, ainsi que d’éventuels panneaux religieux »[8].

[1] Karl Madsen, « Le Danemark et l’art flamand », Actes du XIIe Congrès International d’Histoire de l’art, vol. 2, Bruxelles, Musée royaux des Beaux-arts de Belgique, 20-29 septembre 1930, p. 365.

[2] Jazeps Trizna, op.cit., p. 45.

[3] Idem.

[4] Ibid., p. 47.

[5] Ibid., p. 49.

[6] Idem.

[7] Ibid., p. 52.

[8] Ibid., p. 54.

Radiographie du portrait de Chrisitan II de Danemark; Portrait de Philippe le Beau ( Maître de la Légende de sainte Madeleine); Portrait de Charles Quint ( Bernard van Orley); détails des colliersRadiographie du portrait de Chrisitan II de Danemark; Portrait de Philippe le Beau ( Maître de la Légende de sainte Madeleine); Portrait de Charles Quint ( Bernard van Orley); détails des colliersRadiographie du portrait de Chrisitan II de Danemark; Portrait de Philippe le Beau ( Maître de la Légende de sainte Madeleine); Portrait de Charles Quint ( Bernard van Orley); détails des colliers
Radiographie du portrait de Chrisitan II de Danemark; Portrait de Philippe le Beau ( Maître de la Légende de sainte Madeleine); Portrait de Charles Quint ( Bernard van Orley); détails des colliers

Radiographie du portrait de Chrisitan II de Danemark; Portrait de Philippe le Beau ( Maître de la Légende de sainte Madeleine); Portrait de Charles Quint ( Bernard van Orley); détails des colliers

Retour à Reval et mort de Michel Sittow (1517-1525/1526)

Michel Sittow rentra à Reval en 1517 et l’année d’après, le 13 juillet 1518, il se marie une nouvelle fois à Reval avec Dortieken (Dorothée), « […] fille du commerçant revalais de la Grande Guilde, Hans Allunse, et de Alheit Fircks, appartenant à la noblesse locale »[1]. Durant cette année, le beau-père de Sittow meurt et les maisons lui reviennent complètement. Grâce à son mariage, son cercle de relations s’agrandit vers des classes plus élevées et il devint rapidement une personne très respectée. Un an plus tard, le 24 décembre 1519, il devient assesseur de la Guilde des artisans revalais de Saint-Canut et il est choisi par les membres de la guilde comme doyen, le 17 février 1523 et par cette élévation de statut il exerça la plus haute fonction d’artisanat revalaise. Mais, cette fonction ne fut qu’entreprise jusqu’en 1525, car il mourut entre le 20 décembre de cette même année et le 20 janvier 1526. On propose cette date, car la femme de l’artiste « […] s’acquitta de l’impôt de brassage en son propre nom, à cette dernière date, et, le 31 janvier 1526, elle se laissa imposer des tuteurs »[2] et au mois de juin de la même année, la veuve de Michel Sittow se remarie.
Concernant la production artistique revalaise de ses dernières années, elle fut plutôt de d’ordre pratique et la Réforme imprégna l’esprit des habitants de Reval, par conséquent, « […] l’attitude des hommes envers les œuvres d’art religieuses changea radicalement »[3] et l’iconoclasme éclata en 1524, détruisant ainsi plusieurs œuvres artistiques conservées dans la ville. Cet évènement explique la faible production connue de l’artiste durant son établissement à Reval, mais nous savons d’après les archives, que le peintre réalisa une Messe de saint Grégoire, disparue durant l’iconoclasme, qui se trouvait dans le couvent de Sainte-Brigitte, près de Reval, et quelques restaurations, […] comme l’éventuelle opération de surpeint des volets extérieurs de la Crucifixion de l’église Saint-Nicolas »[4], où le style du peintre revalais se retrouve dans les visages, comme celui de la Vierge. Il se peut qu’il ait aussi peint le panneau d’un diptyque représentant un Moine en prière, conservé au Metropolitan Museum of Art de New York, car parmi les artistes auxquels il a été attribué, Michel Sittow en fait partie. Ce portrait semble tout de même montrer l’attention avec laquelle l’artiste peint ses sujets, car nous retrouvons les effets de lumières, les effets de chairs, ainsi que les imperfections que le peintre évitait de cacher, par conséquent ce panneau aurait pu être peint durant son dernier séjour à Reval, représentant un moine de la ville.

[1] Ibid., p. 55.

[2] Ibid., p. 56.

[3] Ibid., p. 57.

[4] Idem.

Portrait d'un moine en prière; volets extérieurs de la Crucifixion de Saint-Nicolas
Portrait d'un moine en prière; volets extérieurs de la Crucifixion de Saint-Nicolas

Portrait d'un moine en prière; volets extérieurs de la Crucifixion de Saint-Nicolas

Pour conclure, plusieurs autres portraits lui furent attribués, mais plusieurs semblent beaucoup trop éloignés de sa conception courtoise ainsi que de son style. Michel Sittow, à travers son parcours et sa production s’est révélé être un peintre important dans l’art du portrait. Cet artiste fut, en effet, très apprécié à la cour, plus que d’autres artistes, car il était capable de créer des effets de lumières ainsi que des effets de matières à la van Eyck. D’ailleurs, cette imitation fut favorisée par la présence de ses tableaux dans les cours, dès 1500, comme il est visible dans les tableaux de Michel Sittow à partir de cette date-là. Avoir un peintre de qualité, tel l’artiste revalais, était indispensable, car les portraits à cette époque s’échangeaient entre individus. C’est le cas de Jan van Eyck, en 1425, lorsqu’il entra à la cour de Philippe le Bon et qu’il se déplaça au Portugal afin de réaliser le portrait de la future femme du duc, car celui-ci avait besoin d’un artiste sachant réaliser des portraits de manière fidèle, privé d’effets idéalisants dans la chair. C’est à travers ce peintre que le portrait illusionniste fut demandé dans les cours et, dès le derniers tiers du XVe siècle, Michel Sittow fit son apparition proposant sa peinture, très appréciée de son temps. Ce n’est que durant le début du XVIe siècle que le peintre fut influencé par la peinture italienne qui augmentait les collections royales et c’est à travers cette formule que les figures de l’artiste vont prendre plus de massivité et commenceront à se détacher du fond, tout en gardant l’attention aux effets de lumières, aux effets de matière et de chairs ainsi qu’aux détails, qualités reprises de son prédécesseur Jan Van Eyck.

Bibliographie

Catalogues d’exposition

Le portrait dans l’art flamand de Memling à Van Dyck, Paris, Orangerie des Tuileries, 21 octobre 1952-5 janvier 1953, Bruxelles, Edition de la Connaissance, 1952.

Monographie

Jazeps Trizna, Michel Sittow – peintre revalais de l’école brugeoise (1468-1525/1526), Bruxelles, Centre national de Recherches « Primitifs flamands », 1976.

Articles

Colin T. Eisler, « The Sittow Assumption », Art News, septembre 1965, pp. 34-37; 52-54.

Max J. Friedländer, « Master Michiel », Bulletin of the Bachsitzt Gallery, 1935, pp. 27-28.

Mojmír Frinta, « Observation on Michel Sittow », Artibus et Historiae 30, n°60, 2009, pp. 139-156.

Gustav Glück, « The Henry VII in the National Portrait Gallery », The Burlington Magazine for Connoisseurs 63, n° 366, septembre 1933, pp. 100 ; 104-108.

Karl Madsen, « Le Danemark et l’art flamand », Actes du XIIe Congrès International d’Histoire de l’art, vol. 2, Bruxelles, Musée royaux des Beaux-arts de Belgique, 20-29 septembre 1930, pp. 364-368.

E. P. Richardson, « Portrait of a Man in a Red Hat by Master Michiel », Bulletin of the Detroit Institute of Arts XXXVIII, n°4, 1958-59, pp. 79-83.

Martin Weinberger, « Notes on Maître Michiel », The Burlington Magazine 90, n°546, Septembre 1948, pp. 247-253.

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