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ArteHistoire

Compte-rendu: Theodor Herzl, L'Etat des Juifs

2 Avril 2014 , Rédigé par Célimène Bonjour Publié dans #Histoire des religions, #Compte-rendu

Theodor Herzl, décembre 1901 à l'Hotel Les Trois Rois à Bâle, Suisse, lors du premier Congrès Sioniste. URL: http://www.timesofisrael.com/herzls-iconic-balcony-up-for-sale/

Theodor Herzl, décembre 1901 à l'Hotel Les Trois Rois à Bâle, Suisse, lors du premier Congrès Sioniste. URL: http://www.timesofisrael.com/herzls-iconic-balcony-up-for-sale/

I. Introduction

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« […] nous, membres du conseil national représentant le peuple juif du pays d’Israël et le mouvement sioniste mondial, réunis aujourd’hui, jour de l’expiration du mandat britannique, en assemblée solennelle, et en vertu des droits naturels et historiques du peuple juif, ainsi que de la résolution de l’assemblée générale des nations unies, proclamons la fondation de l’Etat juif dans le pays d’Israël. »[1]. Voici un extrait de la déclaration officielle de l’indépendance de l’Etat juif dans le pays d’Israël, énoncée le 14 mai 1948. À travers cette déclaration, le peuple juif est considéré comme étant officiellement, dès ce jour, une communauté détentrice d’un territoire. Ceci est l’aboutissement d’un long parcours qui débute lors de l’exil à Babylone d’une partie du peuple aux alentours de 580 avant J.-C., mais qui « […] demeura fidèle au pays d’Israël […] »[2]. Depuis cette expulsion, ainsi que tout au long des époques qui se succédèrent, celui-ci tenta de rejoindre à nouveau la Terre promise. À la fin du XIXème siècle, les Juifs du monde émigrèrent dans la région de la Palestine afin de s’installer en groupe en espérant acquérir un jour une indépendance. En 1897, Theodor Herzl, présente dans son écrit de nature politique Der Judenstaat (L’Etat des Juifs[3]), qui deviendra par la suite une pièce maîtresse du projet du mouvement sioniste politique. Ce mouvement a pour but la réintégration des Juifs dans leur pays d’origine, afin d’y établir un Etat autonome, reconnu par des droits internationaux. Il est important de noter que l’idée sioniste existe bien avant Theodor Herzl, mais l’on peut dire que c’est à partir de la publication de l’oeuvre que progressivement, les sionistes s’engageront dans la réalisation concrète de leur idéologie en s’appuyant notamment sur l’ouvrage.

Au fond, nous pouvons nous poser la question du territoire et du projet du mouvement sioniste politique. En effet, pourquoi faut-il créer un « Etat des Juifs » ? En quoi cette création changerait-elle la situation politique et sociale des Juifs d’Europe au XIXème siècle et même plus tard ?

Afin de répondre à la problématique posée, ce travail de recherche sera séparé en trois parties. Premièrement, nous débuterons par une remise en contexte de l’œuvre Der Judenstaat, suivit une brève présentation de l’auteur, Theodor Herzl, ainsi que de l’exposition des principales idées émises par l’auteur dans un bref résumé du manuscrit. Deuxièmement, nous commenterons ce texte afin de répondre de manière plus précise à notre question. Enfin, la conclusion soulèvera les questions présentes dans le texte.

II. Partie descriptive

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A. Contexte historique de l’ouvrage et de l’auteur

1. La situation des Juifs au XIXème siècle : l’antisémitisme et le sionisme

À la fin du XVIIIème siècle jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle, la mise en place d’une « libéralisation politique et sociale »[4] des minorités culturelles et spirituelles dans plusieurs pays d’Europe permettent à celles-ci une adaptation culturelle progressive et une bonne assimilation. Mais le ressenti antisémite subsiste. En effet, on aperçoit particulièrement bien à travers plusieurs cas respectivement en 1873, 1881 – 1882 et 1894 – 1906. Le premier concerne le krash boursier, où les Juifs seront rendus responsables de cette crise économique. Le second relève de l’extermination d’une partie de la communauté juive en Russie et l’instauration des « Lois de Mai », bannissant les Juifs d’Europe de l’Est. Le troisième relève de l’affaire Dreyfus en France, puisque : « bien plus qu’un soldat français félon, on châtiait un Juif, éternel bouc émissaire »[5]. Pour finir, la naissance de l’antisémitisme moderne est également due à une mauvaise perception de l’arrivée massive des Juifs orientaux en Europe occidentale. C’est dans ce contexte de tensions que l’antisémitisme s’exprime, parfois avec violence, ce qui ne manque pas de décevoir le mouvement de pensée juif nommé Haskala en hébreu, qui vise l’intégration des Juifs dans la communauté européenne. À cause de cette montée en puissance de l’antisémitisme, on observe que d’une part, une certaine partie de la communauté juive décide de fuir l’antisémitisme européen grandissant en immigrant notamment en Amérique du Nord et en Argentine. D’autre part, en Europe de l’Est, plusieurs associations telle que la ligue nationale juive, fondée en Russie en 1881 par Léon Pinsker, naissent en réaction à ces incursions contre les Juifs. Appelée « Amants de Sion », ‘hibbat Zion en hébreu, cette ligue fait référence à la ville de « Sion » en Judée, et prône un retour des Juifs dans cette ville. Ce type d’organismes défendent, dans un premier temps, les Juifs d’Europe, puis dans un second temps, envisagent une solution plus radicale qui viserait à former une nation accueillant le peuple dans son ensemble. Initialement créées en tant qu’associations culturelles, certaines figures prennent la question de la création d’une colonie juive comme un but atteignable, donnant ainsi une dimension politique au mouvement à la fin du siècle. Au même moment, en Europe de l’Ouest, « L’Etat des Juifs » est publié par Herzl en 1896. Il devient rapidement le manifeste du jeune mouvement sioniste politique.

Souvent présenté comme le père du sionisme politique moderne, il faut cependant préciser que le sionisme existe bel et bien avant Theodor Herzl. Le mot est utilisé pour la première fois par Nathan Birnbaum en 1891 pour désigner un système fidèle à une tendance proche des nationalités. Néanmoins, Herzl est un des premiers à proposer un projet, concret et détaillé, et à lancer une vraie campagne afin de le mettre sur pied. À ce titre, on peut donc le considérer comme le meneur du mouvement sioniste que l’on appelle souvent le sionisme herzlien. Puis, cherchant à établir sa légitimité politique, juridique et philosophique, le mouvement entreprend cette quête auprès du peuple juif (légitimité interne) puis, plus tard, auprès des autres nations pour une reconnaissance internationale de l’Etat d’Israël (légitimité externe).

2. Theodor Herzl et Der Judenstaat

Présenté comme un juriste, journaliste, et écrivain juif Theodor Herzl naît en 1860 à Budapest, sous la domination de l’Empire austro-hongrois. En 1878, il déménage à Vienne et débute des études de droit. Docteur en droit, il abandonne son métier de juriste pour se concentrer sur le journalisme. Le poste de correspondant de presse lui permet de voyager à Londres et à Paris. L’année 1896, en plein déroulement de l’affaire Dreyfus en France, voit la publication à Vienne de son opuscule Der Judenstaat traduit en français L’Etat des Juifs, à l’intention des Juifs d’Europe. Très rapidement, L’Etat des Juifs atteint un vif succès et est édité dix-sept fois et traduit en huit langues. Il est nettement apprécié par le mouvement sioniste et les Juifs d’Europe de l’Est. Avec l’antisémitisme grandissant, Herzl se pose la question, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, de son appartenance à la collectivité nationale. Ne voyant plus de solutions pour la communauté en Europe et étant persuadé que l’antisémitisme n’en est qu’à ses débuts, il établit le plan de créer un Etat pour les Juifs afin de résoudre le problème de cet antisémitisme moderne persistant en Europe, non pas fondé sur des croyances religieuses, mais sur des a priori sociaux. Peu après la sortie de son recueil, il débute les démarches afin de rendre son projet réalisable. Il commence son opération en essayant d’obtenir un appui de diverses corporations juives. Puis, en 1897, avec l’aide d’autres grandes figures du sionisme, il fonde le premier Congrès sioniste, en Suisse et plus précisément à Bâle. Ce congrès réunit chaque année, puis plus tard tous les trois ans, des membres de diverses associations sionistes d’Europe. On discute de divers sujets, principalement centrés sur la création d’un Etat pour le peuple juif, et de la présence du sionisme dans le monde politique et économique. Ainsi, c’est au cours de ce premier Congrès que Herzl expose son programme. Avant tout, il souligne l’importance de l’établissement des Juifs dans un pays, de manière légale et reconnue mondialement par un règlement officiel. Son but est que l’Etat des Juifs acquiert une protection de puissances telles que l’Empire allemand ou la Grande-Bretagne. Theodor Herzl décède en 1904 et ne verra pas l’aboutissement de la déclaration de Balfour en 1917, ni la création de l’Etat d’Israël. Mais ses idées seront en parties conservées à travers le mouvement sioniste jusqu’à aujourd’hui.

B. Résumé de l’ouvrage

Der Judenstaat est un essai politique et un plan, écrit par un juriste, journaliste autrichien juif pour tous les Juifs du monde et plus particulièrement ceux d’Europe. Publié à Vienne en 1896, il traite de la situation du peuple juif au XIXème siècle et propose une solution politique et sociale pour l’avenir de ce peuple face à l’antisémitisme.

Der Judenstaat ne se traduit pas en français par « l’Etat juif », mais plutôt par « l’Etat des Juifs ». En effet, cette deuxième traduction semble plus proche d’une idée nationale, basée sur la notion de peuple plus que sur la culture juive, le judaïsme n’étant pas une dimension principale pour l’auteur. C’est bien dans le but de créer un nouvel Etat rassemblant la plupart des Juifs que Herzl rédige son ouvrage. Dès le départ, l’écrivain insiste sur l’existence des Juifs en tant que peuple « Nous sommes un peuple, Un peuple-un »[6]. Puis, en découvrant qu’ils souffrent de l’antisémitisme à la fin du XIXème siècle dans le monde et principalement en Europe, Theodor Herzl se demande si ce ne sont pas les Juifs qui apportent les persécutions. Ainsi, ils ne sont nulle part véritablement chez eux et ne sont pas reconnus comme des citoyens dans leurs pays. « […] je pense qu’on ne nous laissera pas vivre en paix »[7] écrit-il. Cette conception de perpétuelles persécutions, appelée Judenfrage, traduit en français par « question juive » est considérée par Herzl comme « […] n’étant ni religieuse ni sociale, mais bien nationale. Pour la résoudre, il nous faut avant tout la poser en termes politiques, à l’échelle mondiale. »[8]. Malheureusement, les multiples démarches entreprises avant Herzl, pour résoudre le problème de la question juive, restent stériles. Premièrement, l’idée de faire des Juifs des campagnards, ne semble pas du tout séduire Herzl, qui conteste cette idée. Il souligne que le monde des travailleurs est progressivement remplacé par des engins, ce qui ne favorise pas la main-d’œuvre, principalement juive si l’on conserve l’idée de départ. Deuxièmement, le projet d’intégration est un échec, selon l’auteur, car elle mène à la supériorité économique des Juifs ce qui conduit assurément à l’antisémitisme. De plus, elle ne se fait qu’en réunissant des Juifs et des non-Juifs, notamment à travers le mariage, ce qui n’est pas chose aisée. Or, le niveau de vie n’étant pas le même pour les non-Juifs et Juifs, si ces derniers viennent à gagner en autorité économique, cela serait vu comme une provocation menant aussi immanquablement à l’antisémitisme. Troisièmement, on observe que l’affranchissement n’a été véritablement établi nulle part. Pour finir, les déplacements de foule sont perçus comme des infiltrations et provoquent des contestations des locaux. Par conséquent, la situation du peuple juif au XIXème siècle est au plus mal. Il est non seulement victime de persécutions, mais également de la haine et de l’antisémitisme, ancrés dans l’esprit de la nation. Les Juifs se voient chassés de plusieurs endroits, car « [l]oin d’être intégrés, ils ne sont que tolérés dans leurs différents milieux sociaux. »[9]. En conséquence, la seule véritable solution à la question juive reste l’élaboration d’un Etat pour les Juifs, développée très en détail dans tout le manifeste. En cela, il affirme : « […] l’on nous donne la pleine souveraineté sur une parcelle suffisante de la surface du globe, de manière à satisfaire les besoins légitimes de notre peuple »[10]. De plus, pour Herzl, l’instauration d’un nouvel Etat est bénéfique pour tous. Premièrement, cette nouvelle nation juive fera disparaître l’antisémitisme et assurera un soulagement social, ainsi qu’un avenir certain et convenable à chaque victime d’injustice. Deuxièmement, les Juifs dit « assimilés » n’auront plus besoin de lutter contre les troubles publics entraînés par les vagues d’immigrations. Pour finir, Herzl soutient avec ferveur que le départ des Juifs, diminuera le taux de chômage des pays, puisque la population locale récupérera les places vacantes. Parallèlement, cette élaboration comprend la mise en place d’une reconnaissance interne et externe de la nouvelle nation. Ainsi, la légitimité doit être acquise auprès du peuple juif et auprès d’institutions mondiales qui approuveront de manière internationale l’Etat des Juifs et qui permettront aux Juifs d’obtenir des terres légalement. Par la suite, Theodor Herzl, introduit deux organismes indispensables à la bonne réalisation de son projet : La Jewish Compagny et la Society of Jews. La première s’occupe de l’économie et finance le projet, tandis que la seconde, ambassadrice du peuple juif, élabore les plans aussi bien au niveau culturel que politique, comme par exemple, l’organisation d’une armée ou la rédaction d’accords. Les plus nécessiteux fuiraient en premier, puis, avec le développement, ils pousseraient les autres classes sociales à faire de même.

III. Analyse

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« Il faut toujours un peu de désespoir en soi pour accomplir de grandes choses. »[11] affirme Herzl. La pression faite sur le peuple juif provoque en lui le souhait de s’expatrier. Avec la situation du XIXème siècle, la création d’un Etat accueillant un peuple oppressé, semble être une la suite logique. « L’Etat des Juifs » est un essai politique proposant une solution à un problème constitutionnel et non religieux. En effet, Herzl est un homme « […] qui ignore à peu près tout de la religion de ses pères et fête Noël avec ses enfants, en est encore à s’effarer, en libéral et en rationaliste, de ce sursaut du Moyen Âge dans l’ère moderne. »[12] Combattant, Theodor Herzl semble être concerné par les affaires sociales avant son adhésion au sionisme. Il s’attache à son identité, à l’unicité du peuple juif et semble peu se soucier du judaïsme. Dans sa pensée, le territoire et la religion comptent au final moins que l’attachement à une récupération nationale presque perdue, de la reconstitution d’une identité comme solution à l’antisémitisme moderne. Dans sa réflexion, Herzl remarque que les ghettos contribuent à une tendance asociale, physique et morale, qui reste encrée dans les esprits des Juifs, même après leur libération et n’aide pas à l’affirmation d’une identité. De plus, il s’aperçoit que le problème relève du fait que la nation juive ne s’associe pas avec le reste des nations, car l’antisémitisme du XIXème est bel et bien basé sur des a priori sociaux et nationaux et non pas sur des préjugés religieux. Ainsi, la solution à la question juive serait de créer une nation organisée et structurée permettant au peuple juif de retrouver sa dignité et d’échapper à l’antisémitisme persistant. Le travail de Herzl consiste aussi à se retirer de l’idéologie du ghetto, même si certains organismes reprochent à l’essayiste d’en former un second, en créant cet Etat, d’où la conception d’assimilation et d’émancipation de certains de ces groupes. Néanmoins Herzl reste clair à ce sujet: il ne veut pas que les Juifs qui ont quitté leur ghetto, en reconstruisent un autre. L’Etat des Juifs sera un pays international, ouvert à la science, au progrès, à la philosophie et à la religion.

Mais l’organisation sioniste politique prétend agir au nom du peuple juif ce qui ne plaît pas à tous, car il existe bel et bien des Juifs qui refusent ce projet. Pour ne citer que deux oppositions, la première, le conformisme juif, écarte dans l’ensemble le projet de l’auteur et y voit même un sacrilège, puisque la seule personne supposée amener la délivrance du peuple hébraïque est Dieu. La seconde comprend les organisations privilégiant une intégration des Juifs, à travers l’abandon progressif de leurs coutumes. En revanche, notons que la résolution avancée par l’écrivain n’existe que pour riposter au problème de l’antisémitisme. Pour lui, l’assimilation ne résoudra pas le problème de la haine contre le Juif et on s’aperçoit que sa mise en garde contre la possibilité d’une brutalité extrême du mouvement antijuif n’est pas pressentie par les autres : « Ils ne me croiront que lorsque la haine des Juifs aura repris. Or l’antisémitisme éclatera avec d’autant plus de violence qu’il se sera fait attendre. L’infiltration de Juifs, attirés par l’apparente sécurité, ainsi que l’ascension sociale des Juifs autochtones se conjuguent en un phénomène d’une extrême violence et provoquent la catastrophe »[13]. En effet, personne ne prend la question de cette haine très au sérieux ou du moins, pas autant que l’auteur ne l’aurait espéré. C’est, entre autre, un de ces motifs qui incitera Theodor Herzl a rédiger un récit imaginaire, intitulé Altneuland, traduit « Nouveau-ancien pays » en français, dans lequel il dépeint l’avenir de l’Etat des Juifs. Si les Juifs s’étaient rendu compte de la montée de l’antisémitisme plus rapidement, peut-être auraient-ils pu échapper à la montée de la haine dans les années suivantes, en se réfugiant dans une constitution déjà existante. Toutefois, on constate également que la ténacité de l’antisémitisme démontre que la fuite des Juifs dans un État leur appartenant a certes, diminué le taux de persécutions, mais n’a en aucun cas éradiqué le mouvement antijuif. Sur ce point, Herzl semble avoir sous-estimé la complexité du problème.

Parlons aussi du caractère topographique, présent dans l’œuvre. Comme cité auparavant, le projet du mouvement sioniste passe par la recherche, puis l’établissement du peuple hébraïque sur un territoire. Néanmoins, il est primordial que ce territoire, acheté, soit reconnu mondialement pour y installer, à la fin du processus, tous les immigrants. C’est notamment grâce à ce plan que l’antisémitisme sera vaincu. C’est pourquoi, la formation d’un Etat a pour conséquence : le bienfait des minorités et la disparition de l’antisémitisme. « Ainsi, parler « d’Etat des Juifs » ou de « foyer national juif » revient à croiser un élément géographique, le territoire, avec des éléments historiques, culturels et ethniques »[14].

Même si « L’Etat des Juifs » reste un essai fort bien détaillé et apporte des réponses concrètes, il semble contenir, à l’inverse, quelques lacunes dans certains domaines et sur certains points. En effet, nous pouvons reprocher à l’auteur de ne pas mentionner des principes importants concernant la culture juive et d’autres cultures concernées par ce projet, tels que des éléments de croyances, des principes culturels, ethniques et régionaux. Par exemple, les difficultés entre Juifs sépharades, Juifs ashkénazes ainsi que les Arabes. Il semble oublier - volontairement ou pas – quelles fonctions y tenaient la civilisation israélite et le langage des Hébreux. La caractéristique de cette société avant-gardiste et commerçante où l’avenir du peuple hébraïque en devient ordinaire et où le retour en Terre promise prend un peu trop l’aspect d’une prospérité économico-sociale ; « Au fond, disait Ha’am, si les Noirs africains bâtissent un jour un État à eux, ils pourront reprendre le projet de Herzl sans y changer un mot ! »[15]. L’auteur n’a pas non plus pensé aux querelles avec les autochtones. En effet, Claude Klein, juriste français juif, habitant de Jérusalem dès 1968 et professeur à la Faculté de droit à l’Université de Jérusalem, souligne également dans Essai sur le sionisme, le fait que Theodor Herzl mentionne à plusieurs reprises que la migration des Juifs en Terre promise sera bel et bien bénéfique à tous. Ainsi, sans réellement s’en préoccuper, Herzl relève quand même que la situation des habitants des « pays laissés » n’ira qu’en s’améliorant. Or, on se soucie peu, voire pas de la situation des habitants du pays dans lequel les Juifs vont. En effet, le dicton des sionistes « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » n’est ici pas applicable dans sa deuxième partie. En réalité, comme le souligne Claude Klein dans son essai, l’idée de l’Autre (ndlr : le Palestinien, l’Arabe) est une dimension qui, certes existe et est connue, mais qui n’est pas une dimension principale dans les projets sionistes. D’un autre côté, les Arabes, assez pauvres à l’origine, ont bénéficié de l’expansion de la société israélienne et se disent ravis de ces conditions qui leur amènent l’abondance[16].

En ce qui concerne la situation du peuple juif au XXIème siècle, celle-ci semble s’être améliorée dans un sens. Effectivement, leurs droits sont reconnus et ils sont protégés par des associations. Cependant, des conflits perdurent tels que le conflit israélo-palestinien ou l’antisémitisme qui continue d’exister, sans être révélé au grand jour. Et que reste-t-il du mouvement sioniste ? En effet, « le sionisme aspire à la création en Palestine d’un foyer pour le peuple juif, garanti par le droit public »[17]. Par conséquent, la mission du sionisme n’est-elle pas accomplie avec la déclaration de l’Etat d’Israël ? Le mouvement n’aurait-il pas perdu de sens originel avec la création de l’Etat d’Israël ? Selon Claude Klein, les institutions sionistes continuent d’exister à travers les débats sur l’avenir des territoires occupés par Israël, ainsi que dans le combat de l’antisémitisme.

IV. Conclusion

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Le sionisme herzélien est complètement axé sur le phénomène de l’antisémitisme politique moderne, car selon lui, l’origine de l’antisémitisme était l’insuccès de l’union de l’organisation nationale juive et les organisations nationales des autres pays. Dès lors, le dénouement ne pouvait se faire qu’à travers un processus organisationnel. Selon Michel Crozier (1922 – 2013), sociologue français et créateur de « l'analyse stratégique en sociologie des organisations »[18], le sionisme herzélien avait une autorité sur le peuple juif en atténuant la peur de celui-ci face à son futur. Il explique également que Herzl tenta à tout prix de retirer de l’esprit des Juifs la méthode de fonctionnement organisationnel des ghettos.

Il y a dans l’essai de Theodor Herzl une incroyable vision annonciatrice, non seulement de la situation du peuple juif dans un avenir proche, de l’explosion entre la rencontre des Juifs occidentaux et orientaux, mais également de la montée au pouvoir de l’antisémitisme. Qu’ils le souhaitaient ou non, les Juifs n’étaient pas admis, que ce soit au niveau de la collectivité ou de manière plus individuelle. L’assimilation étant impossible, la solution était de construire un état. Herzl propose un état-refuge pour les Juifs et non un Etat juif, puisqu’il ne s’intéresse pas à l’aspect religieux de la question. Peut-on dire que le sionisme ou le sionisme herzlien aurait été créé uniquement pour les Juifs pauvres et persécutés ? Effectivement, on remarque que, certes Theodor Herzl est préoccupé par la situation d’un peuple unifié, mais qu’il semble se tourner principalement vers les Juifs pauvres et les opprimés, qui sont finalement les premières victimes. De plus, il semblerait que la majorité des Juifs assimilés ne souhaitent pas un retour en Terre promise. Herzl note dans son manifeste : « Le mouvement politique étatiste que je propose nuira aussi peu aux israélites français qu’aux « assimilés » des autres pays. […] Ils pourront s’assimiler bien tranquillement puisque l’antisémitisme actuel se taira à jamais. »[19]. Mais l’auteur insiste sur un point : c’est la misère du peuple qui lui donnera de la force et du courage pour se tirer de cette situation. En effet, « Personne n’est assez fort ou assez riche pour transplanter un peuple d’un endroit à un autre. Seule une idée peut y parvenir. L’idée de l’Etat a cette force. »[20]

Selon Claude Klein, au XXème siècle les Juifs ne paraissaient pas se hâter dans le pays d’Israël, alors que l’antisémitisme semble se replier. Ainsi, peut-on dire à ce moment là que les Juifs fuient l’antisémitisme sans chercher à s’installer en Israël ? Theodor Herzl et son sionisme ont buté dans sa forme absolue, car il n’a pas été capable de réunir la totalité des Juifs, mais a été en mesure de créer un pays-refuge.

IV. Bibliographie sélective

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Chouraqui, André, La création de l’Etat d’Israël, Thèse de doctorat en droit, Université de Paris, 1948.

Chouraqui, André, L’Alliance israélite universelle et la Renaissance juive contemporaine 1860 – 1960, édition P.U.F., 1965.

Klein, Claude, Essai sur le sionisme : de l’Etat des Juifs à l’Etat d’Israël, éditions La Découverte, Paris, 1989.

Boyer, Alain, Theodor Herzl, éditions Albin Michel, Paris, 1991.

Chouraqui, André, Un visionnaire nommé Herzl. La résurrection d’Israël, édition Robert Laffont, Paris, 1991.

Doubnov, Simon, Précis d’histoire juive, éditions du Cerf, Paris, 1992.

Trousson, Théodore Herzl et l’utopie d’Israël [en ligne], Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1992. URL [consulté en décembre 2013] : www.arllfb.be

Boyer, Alain, Les origines du sionisme, coll. « Que sais-je ? », Paris, 1994.

Arendt, Hannah, Sur l’antisémitisme, édition Calmann – Levy, Paris, 2002.

léger – Tanger, Lévi-Avishaï, Fiche de lecture -DSY221 Questionnement sur le comportement organisationnel dans le cadre du séminaire de Pesqueux, Yvon, De l’idée à l’organisation : « L’Etat des Juifs » de Theodor Herzl, Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), Paris, 2010. URL [consulté en janvier 2014] : http://mip-ms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877019172.

[1]http://fr.wikisource.org/wiki/Déclaration_d%27indépendance_de_l%27État_d%27Israël[2] http://fr.wikisource.org/wiki/Déclaration_d%27indépendance_de_l%27État_d%27Israël

[3] HERZL, Theodor, L’Etat des Juifs, traduit de l’allemand par Claude Klein, éditions La Découverte, Paris, 1989 (1896), 176 p.

[4] léger – Tanger, Lévi-Avishaï, Fiche de lecture -DSY221 Questionnement sur le comportement organisationnel dans le cadre du séminaire de Pesqueux, Yvon, De l’idée à l’organisation : « L’Etat des Juifs » de Theodor Herzl, Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), Paris, 2010. URL [consulté en janvier 2014] : http://mip-ms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877019172.

[5] Trousson, Théodore Herzl et l’utopie d’Israël [en ligne], Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1992, p.4. URL [consulté en décembre 2013] : www.arllfb.be

[6] HERZL, Theodor, L’Etat des Juifs, traduit de l’allemand par Claude Klein, éditions La Découverte, Paris, 1989 (1896), p.23.

[7] HERZL, Theodor, L’Etat des Juifs, traduit de l’allemand par Claude Klein, éditions La Découverte, Paris, 1989 (1896), p.25.

[8] Klein, Claude, Essai sur le sionisme : de l’Etat des Juifs à l’Etat d’Israël, éditions La Découverte, Paris, 1989, p.133.

[9] léger – Tanger, Lévi-Avishaï, Fiche de lecture -DSY221 Questionnement sur le comportement organisationnel dans le cadre du séminaire de Pesqueux, Yvon, De l’idée à l’organisation : « L’Etat des Juifs » de Theodor Herzl, Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), Paris, 2010, p.9. URL [consulté en janvier 2014] : http://mip-ms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877019172.

[10] Herzl, Theodor, L’Etat des Juifs, traduit de l’allemand par Claude Klein, éditions La Découverte, Paris, 1989 (1896), p. 43.

[11] Herzl, Theodor, L’Etat des Juifs, traduit de l’allemand par Claude Klein, éditions La Découverte, Paris, 1989 (1896), p. 84.

[12] Trousson, Théodore Herzl et l’utopie d’Israël [en ligne], Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1992, p.3. URL [consulté en décembre 2013] : www.arllfb.be

[13] Klein, Claude, Essai sur le sionisme : de l’Etat des Juifs à l’Etat d’Israël, éditions La Découverte, Paris, 1989, p.148.

[14] léger – Tanger, Lévi-Avishaï, Fiche de lecture -DSY221 Questionnement sur le comportement organisationnel dans le cadre du séminaire de Pesqueux, Yvon, De l’idée à l’organisation : « L’Etat des Juifs » de Theodor Herzl, Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), Paris, 2010, p.14. URL [consulté en janvier 2014] : http://mip-ms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877019172.

[15] Trousson, Théodore Herzl et l’utopie d’Israël [en ligne], Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1992, p.19. URL [consulté en décembre 2013] : www.arllfb.be

[16] Trousson, Théodore Herzl et l’utopie d’Israël [en ligne], Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1992, p.15. URL [consulté en décembre 2013] : www.arllfb.be

[17] Klein, Claude, Essai sur le sionisme : de l’Etat des Juifs à l’Etat d’Israël, éditions La Découverte, Paris, 1989, p.156.

[18] http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Crozier

[19] Herzl, Theodor, L’Etat des Juifs, traduit de l’allemand par Claude Klein, éditions La Découverte, Paris, 1989 (1896), p. 29.

[20] Herzl, Theodor, L’Etat des Juifs, traduit de l’allemand par Claude Klein, éditions La Découverte, Paris, 1989 (1896), p. 30.

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