Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ArteHistoire

L'Hôtel Tassel, 1893-1895

30 Juin 2015 , Rédigé par Sabrina Ciardo Publié dans #Histoire de l'art

L'Hôtel Tassel, 1893-1895

L’architecte Victor Horta nait le 6 janvier 1861 à Gand et meurt le 8 septembre 1947 à Bruxelles. Enfant rebelle, Horta refuse d’étudier le droit et la médecine, comme sa mère le souhaitait, mais il se passionnera pour la musique, tel son père. C’est à 12 ans, sur un chantier de son oncle, qu’il développa sa passion pour l’art de bâtir, alors ses parents l’envoyèrent chez Jules Dubuysson, architecte et décorateur d’intérieur, à Paris. C’est là qu’il découvrira l’acier et le verre. A la mort de son père, en 1880, Horta retourne en Belgique et s’installera à Bruxelles où il s’inscrira à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. Il rencontrera durant ses études Paul Hankar avec qui il se lie d’amitié et deviendra l’élève favori d’Alphonse Balat, architecte du roi Léopold II. Par conséquent, cet homme le prit comme assistant et à sa mort lui laissa son cabinet, en 1895. Dix ans plus tôt, en 1885, il reprend trois maisons mitoyennes à Gand pour pouvoir y inscrire son nom afin de se faire connaître. Il refusera, dans son architecture, la ligne droite et créera sa propre ligne souple à « coup de fouet », car elle agrandit l’espace. En 1892, il crée la Maison Autrique qui est perçue comme une œuvre de transition, mais qui présente déjà des éléments d’Art Nouveau, puis l’Hôtel Tassel, en 1893, qui sera considéré comme son premier édifice de cet art.
Ce nouvel art nait en Belgique par la construction de l’Hôtel Tassel. Victor Horta a réagi au mouvement éclectique qui était en vogue au 19ème siècle. Mais, toujours en 1893, Paul Hankar propose un autre type d’art nouveau, dit « géométrique », et qui diffère de l’art floral de Horta. Cet Art Nouveau bruxellois rayonnera, par la suite, dans tous les arts et influencera notamment la France, où Hector Guimard puisera certaines sources dans l’art de Horta, après une visite de l’Hôtel Tassel. Il est notamment visible dans la bouche de métro de la porte Dauphine, réalisée par l’artiste français, où le fond orangé sur lequel des lignes blanches se détachent, de style Art Nouveau, reprend très probablement les formes de l’architecte belge. Mais ces deux artistes s’opposent dans la manière d’utiliser cette ligne. Horta semble avoir une ligne plus sobre et plus élégante, quant à Guimard c’est une ligne qui « se lâche », qui foisonne et qui se démultiplie.
Les plans de l’Hôtel Tassel « […] ont été conçus en 1892-93 et la construction commença en septembre 1893 »[1]. La fin des travaux se fit entre 1894 et 1895. L’édifice fut construit au numéro 12, rue de Turin qui, aujourd’hui, est devenu le 6, rue Paul-Emile Janson. L’Hôtel fut construit sur un terrain assez étroit de « […] 7m76 de largeur et d’une profondeur de 29 m […], tandis que dans ses mémoires, Horta note que le terrain mesure 7m20 de large et 35m de profondeur »[2] et à l’époque de la construction, « […] que trois maisons, dont celle de gauche »[3] se trouvaient sur cette rue. Cet édifice, portrait de son commanditaire, a été réalisé sur la demande d’Emile Tassel, professeur de géométrie descriptive à l’Université Libre de Bruxelles, pour y vivre avec sa grand-mère. L’Hôtel Tassel a été considéré comme la première œuvre Art Nouveau de Horta et cet édifice se différencie des bâtiments voisins par sa façade qui reste relativement simple, tandis qu’à l’intérieur c’est une explosion de la ligne « coup de fouet » et l’espace est ouvert malgré la parcelle assez étroite sur laquelle l’Hôtel a été construit.
Jean Delhaye, ancien élève de Victor Horta, achète l’Hôtel, en 1976, pour le sauver, car il était en train de tomber en ruines et le bâtiment avait été modifié intérieurement. Plusieurs pièces ont été utilisées comme appartements et le papier peint a été recouvert par de la peinture verte. Ce sauvetage de bâtiment ne se limita pas qu’à l’intérieur, mais se fit aussi à l’extérieur. La façade endommagée par la pollution et la rouille a subi un nettoyage, lors des travaux qui commencèrent en 1982 et se terminèrent en 1985 par un réaménagement de l’édifice.

En observant le décor intérieur et extérieur du bâtiment, peut-on dire qu’il y a une cohérence entre ces deux mondes ?

[1]G. Tsihlias, « Victor Horta : The Maison Tassel, The Sources of its Development », Canadian journal of Netherlandic Studies, vol. 17, issue 1-2 (printemps 1996), p. 109.

[2] F. Loyer, J. Delhaye, Victor Horta – Hôtel Tassel 1893-1895, Bruxelles, AAM, 1996, p. XI.

[3] L. Meers, Promenades Art Nouveau à Bruxelles, Bruxelles, Racine, 1995, p. 45.

Maison Autrique (1892); Porte Dauphine; Plan Hôtel TasselMaison Autrique (1892); Porte Dauphine; Plan Hôtel Tassel
Maison Autrique (1892); Porte Dauphine; Plan Hôtel Tassel

Maison Autrique (1892); Porte Dauphine; Plan Hôtel Tassel

L'Hôtel Tassel, 1893-1895

La façade

La façade est légèrement ondulante ce qui apporte une certaine flexibilité au bâtiment[1]. Une alternance est à relever. Il s’agit du jeu entre les couleurs des pierres, dont deux sont blanches, la pierre d’Euville et Savonnière, et l’autre est un granit belge de couleur bleue. Ce dernier a été utilisé pour « […] le soubassement et le cadre de porte »[2]. Horta va choisir de rester dans la tradition bruxelloise pour construire la façade de l’Hôtel. Il va proposer une continuité dans l’agencement des fenêtres qui créera une sorte de « […] bandeau continu alternativement ouvert et fermé […] »[3]. Mais ce qui le différencie des autres habitations environnantes est la présence d’un léger bow-window, l’utilisation de colonnettes en fonte et différentes ouvertures sur les côtés qui vont rythmer la façade.

Le rez-de-chaussée

La porte, placée au centre de l’édifice, est encadrée par deux larges volutes qui semblent sortir du mur. Le lourd cadre supporte le bow-window et fait penser aux cadres des monuments antiques. La ligne de la corniche, aussi visible dans les maisons voisines, est ambiguë car elle sépare le rez-de-chaussée de l’entresol. Horta a centré la porte afin que la console puisse supporter le bow-window central. Cet emplacement de la porte est une de ses innovations, car, contrairement aux édifices voisins, il ne placera pas celle-ci sur la gauche ou sur la droite, mais bien au centre afin de pouvoir jouer sur la légère ondulation de la façade. De plus, cette saillie « […] sert d’auvent à l’entrée et ses lourdes consoles, également classiques, protègent la porte contre les intempéries »[4].
Le fer qui vient décorer les fenêtres du rez-de-chaussée présente une ligne en « coup de fouet » en son centre, comme si une fleur s’ouvrait, et sur le haut de celle-ci, deux bourgeons viennent décorer le haut des barres. Cette ligne Art Nouveau se retrouve dans le haut de la porte, où des verres décorés par du fer annoncent le décor de l’entresol. Mais cette nouvelle ligne n’est pas apparue en premier lieu dans l’architecture, mais bien dans la peinture, le dessin, avant de se développer dans l’art de bâtir.

[1] Tsihlias, printemps 1996, p. 110.

[2] Loyer et Delhaye, 1996, p. IX.

[3] Ibid., p. 19.

[4] Meers, 1995, p.47.

Fenêtre Hôtel Tassel (rez-de-chaussée)

Fenêtre Hôtel Tassel (rez-de-chaussée)

L'Hôtel Tassel, 1893-1895

Le bow-window

Cette partie centrale s’élève jusqu’au deuxième étage. Il comprend l’entresol, le premier étage et la moitié du deuxième. Horta évitera d’exagérer la sortie de cet élément de la façade pour être en accord avec les façades de l’époque. De plus, il va créer un effet aérien, en agrandissant les baies des fenêtres, au fur et à mesure que l’on monte d’étage, et en diminuant les colonnettes en fonte qui délimitent chaque pans de fenêtre. Les balustrades vont jouer aussi le même rôle : celle du premier étage, plus basse et décorée par la ligne « coup de fouet », amène une certaine légèreté, contrairement à l’entresol, et celle du deuxième étage semble encore plus aérienne, car les lignes décoratives ont été diminuées.

L’entresol

L’entresol correspond au fumoir de Tassel et la partie vitrée est divisée par cinq colonnettes de pierre qui semblent s’enraciner et s’accrocher à l’entablement de la fenêtre. Ce dernier est renforcé par de la fonte et apporte une touche de couleur comme au rez-de-chaussée avec la pierre bleue. Sur les côtés, deux ouvertures simples font office de fenêtre. Depuis le mur de la façade, un tout petit larmier sort du mur et rappelle la forme de l’entablement de la porte en pierre bleue. Cet élément n’a pas une vraie utilité, car son emplacement, beaucoup trop en hauteur par rapport à l’ouverture de la fenêtre, n’a aucun sens fonctionnel, à savoir la fonction de protéger la fenêtre de la pluie, et n’est donc là que pour rythmer la façade et apporter un élément décoratif.

Le premier étage

Le premier étage semble être le plus grand par ses grandes fenêtres. Au centre, il est possible d’ouvrir celles-ci et les colonnettes « filiformes […] ne constituent pas un obstacle à l’entrée de la lumière »[1]. De nouveau la fonte est teintée de vert pour apporter une touche de couleur à la façade. La balustrade apporte un certain mouvement et du décor, tandis que les ouvertures sur les côtés, assez sobres, semblent s’étirer vers le haut par l’ajout d’une deuxième ouverture par-dessus et, de nouveau, un larmier vient rythmer la façade sur les côtés.

Le deuxième étage

Le dernier étage présente des volutes qui viennent terminer le bow-window dans sa partie supérieure. Celles-ci semblent sortir de la pierre pour s’enrouler au-dessus de la balustrade qui est plus sobre que celle du premier étage. Les trois baies sont ouvrables et deux colonnettes en fonte viennent les séparer. Le deuxième étage est le plus sobre de tous, car Horta a voulu donner un effet aérien à l’édifice en allégeant à chaque étage les éléments. En effet, si l’on observe les ouvertures sur les côtés, elles sont fines, tels des meurtrières de châteaux médiévaux et, encore, l’architecte a intégré un larmier, qui cette fois, est plus prononcé et semble prendre la forme d’un pilastre suspendu dans lequel on a percé une fine ouverture. Pour finir, le toit sort légèrement, créant ainsi un entablement de fer coloré qui semblent sortir ou s’enraciner dans la façade.

La façade de l’Hôtel Tassel semble à première vue une construction classique par sa symétrie, mais c’est aussi une œuvre sculpturale qui refuse les angles – surtout visibles dans les ouvertures dès l’entresol – et par conséquent « on assiste ici à la naissance d’un principe essentiel de l’Art Nouveau élaboré par Horta […] »[2] et c’est une œuvre sculpturale par les éléments décoratifs qui ont été ajoutés sur les trois niveaux de manière à équilibrer le tout et créant ainsi un effet d'ensemble.

[1] Idem.

[2] F. Aubry, Victor Horta à Bruxelles, Bruxelles, Racine, 1996, p. 23.

L'Hôtel Tassel, 1893-1895

A l’intérieur de l’Hôtel

En entrant dans l’Hôtel Tassel, l’impression d’entrer dans un autre monde est remarquable, notamment par une explosion de la « ligne Horta » et par une ambiance chaleureuse qui n’était que très peu présente sur la façade. L’architecte s’est libéré du plan traditionnel et place ses pièces suivant un axe, afin de créer « […] un jeu de compression et de décompression des espaces […] »[1]. Il brouille les pistes de la compréhension de l’intérieur par une impression d’espace petit, vu sous un certain angle, mais en réalité l’espace s’agrandit en entrant dans la pièce et cet effet n’est pas visible de l’extérieur. Horta a créé deux espaces différents qui semblent être séparés par les deux verrières, amenant deux puits de lumière, qui distinguent deux mondes différents : « […] celui du travail et celui de la vie domestique. Au travail est dévolu le bâtiment du devant où se superposent parloir, bureau, et salle d’études. A la vie domestique appartient le bâtiment de derrière : cuisines en sous-sol, grande chambre et petite salle à manger à l’étage noble […] ainsi que deux chambres plus simples au deuxième »[2].

Les mosaïques

En entrant dans le vestibule, décoré de faux marbre, le visiteur est accueilli par une mosaïque de flamelles placée au sol. Ces décorations en lignes « coup de fouet » sont placées autour de la bouche de chauffage qui se trouve au centre de la pièce et donne une signification à la couleur rouge-orangée qui a été utilisée pour cette pièce. En traversant la porte vitrée, la mosaïque s’y retrouve, mais celle-ci est une illustration plus prononcée de la ligne « coup de fouet » qui se propage sur le sol en direction du jardin d’hiver et de la cage d’escalier et semble remonter les murs sous un autre matériel. La couleur des mosaïques rappelle la couleur de la façade et le rouge-orangé vient créer un lien avec le papier peint.

[1] M. Cohen, Victor Horta, Bologne, Zanichelli, 1994, p. 28.

[2] Loyer et Delhaye, 1996, p.23.

L'Hôtel Tassel, 1893-1895
L'Hôtel Tassel, 1893-1895

Le papier peint

Pour la réalisation du papier peint, « […] Horta a demandé au peintre Henri Baes l’exécution d’un grand décor mural d’arabesques […] »[1]. Il ne faudrait pas vraiment parler d’arabesque, mais plutôt d’entortillement de lianes qui montent tout le long du mur. Dans le salon, le papier peint présente un décor plus calme et moins dense sous forme de fleurs dans l’encadrement de la porte. Il faut encore ajouter le papier peint du jardin d’hiver qui se trouve à côté du vestibule. Celui-ci présente des motifs répétés de lianes et de feuilles qui s’enroulent vers le haut. Tous ces papiers-peint cités ont en commun la couleur qui répond en opposition à la couleur du sol. Sur le mur c’est un fond orangé sur lequel les lianes vertes se détachent, quant au sol, c’est sur du blanc que se détachent les arabesques orangées. Le fond de couleur chaud du papier-peint se dégrade au fur et à mesure que les motifs de lianes montent, par conséquent Horta a décidé de garder le fond crème pour faire réaliser des entortillements de végétaux de couleur verte qui renvoie au vert des poutrelles en fonte. Il faut noter que les murs ont été recouverts de peinture verte suite à une modification de l’espace. Jean Delhaye a réussi à trouver les motifs qui se cachaient en dessous, mais il se peut qu’il y aient quelques décors dans les autres pièces de l’espace privé ou semi-public.

[1] Ibid., p. 21.

L'Hôtel Tassel, 1893-1895L'Hôtel Tassel, 1893-1895L'Hôtel Tassel, 1893-1895
L'Hôtel Tassel, 1893-1895

L’utilisation du fer

Les chapiteaux des colonnes en ferronnerie ont repris le modèle des éléments végétaux tels que les lianes du papier-peint ainsi que celui des mosaïques et crée un jeu de formes, de matériaux et de couleur. Ces bouquets végétaux viennent « […] renforcer les arcs qui portent la charge des étages en l’absence de mur »[1] et sont, en quelques sorte, prolongés par le décor peint en vert au-dessus des arcs portants. Dans le salon et dans la salle à manger, des décors plus discrets de végétaux, par le traitement de la couleur semblable au mur, viennent renforcer les angles de ce dernier. Le fer n’est pas seulement utilisé dans les colonnettes ou dans les angles des murs pour les renforcer, mais aussi pour décorer la cage d’escalier qui monte jusqu’au premier étage. Celle-ci reprend le même mouvement du fer qui décore la balustrade du premier étage. Ce sont des lianes qui semblent s’agripper à toute la cage d’escalier et viennent même embrasser la base des luminaires. Cet usage du fer apparent est insolite, « presque partout les systèmes d’assemblage, les rivetages restent apparents comme on le pratiquait jusqu’ici dans les bâtiments utilitaires industriels »[2] et Horta innove en l’utilisant dans un édifice privé. L’usage du fer permet à l’architecte d’agrandir l’espace en supprimant des pans de murs et laisse par conséquent entrer plus de lumière dans un bâtiment qui est construit sur un terrain étroit où les seuls sources de lumière possibles se trouvent à l’avant et à l’arrière du bâtiment. Mais Horta innovera en apportant une autre source de lumière à la Maison Tassel.

[1] C. Mesnil, Victor Horta – l’inventeur, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001, p. 44.

[2] J. Debicki, J-F. Favre, D. Grünewald, A.F. Pimentel, Histoire de l’art, Paris, Hachette, 1995, p. 232.

L'Hôtel Tassel, 1893-1895L'Hôtel Tassel, 1893-1895L'Hôtel Tassel, 1893-1895
L'Hôtel Tassel, 1893-1895

Le vitrail et l’agrandissement de l’espace

Horta va utiliser un jeu de miroir dans le puit de lumière afin d’agrandir l’espace et de démultiplier les volumes. Il a placé un miroir dans la serre par conséquent « […] la verrière inclinée de la couverture s’y reflète, suggérant une infinité de profondeur qui est sans rapport avec l’étroitesse objective de la parcelle […]»[1]. Mais les miroirs ne sont pas les seuls éléments qui vont ouvrir l’espace. Horta va faire un grand usage du vitrail coloré qui va apporter une légèreté à son architecture. C’est notamment le cas pour le vitrail incliné du jardin d’hiver et le vitrail plat pour la cage d’escalier. Les couleurs rappellent celles des lianes et du fer en fonte utilisé dans les colonnettes, les renforcements d’angle et les arcatures comme dans le jardin d’hiver. Les vitraux encastrés dans les portes rappellent eux aussi la ligne qui se développe dans tout l’Hôtel Tassel et renvoient surtout au vitrail du fumoir, se trouvant à l’entresol. Cette ligne renvoie aux volutes des cigares qui sont régis par la symétrie tel le vitrail de la porte du vestibule. Il faut ajouter encore que la ligne des réseaux de plomb va jouer le rôle du trait, « […] obligeant à une simplification et à une stylisation des formes […] »[2].
Un autre vitrail doit être mentionné. Il s’agit du vitrail se trouvant dans le corridor reliant le bureau et le petit salon au premier étage. C’est une représentation de couleurs vives qui ressortent par rapport aux couleurs environnantes. Le paysage semble faire référence à des décors de tout l’Hôtel Tassel, comme les lianes, les bourgeons de fleurs sur le grillage de deux fenêtres au rez-de-chaussée, visible de l’extérieur, et aux chapiteaux des colonnes. Dans chacune de ces réalisations, la lumière filtrée par les vitraux colorés apporte un effet de calme et de chaleur. Ce vitrail en particulier semble être un tableau transparent, encadré par des bordures rouge. C’est un tableau, une vitre à travers laquelle nous voyons se dessiner un paysage. Mais ce cadre est ambigu, car les plantes qui se trouvent en bas sortent de ce paysage et semblent s’interposer entre le cadre rouge et le paysage à l’arrière. La réalisation des vitraux a été faite par Raphaël Evaldre (1862-1938), sur la demande de Victor Horta en 1895 et il semblerait que cet artiste-verrier ait voulu jouer non seulement avec les formes, mais aussi avec la métaphore de la nature qui, dès le Moyen Age, propose d’y voir l’architecture primitive, présente dans la nature à travers les arbres, les branches, les feuilles, etc. Donc on peut en conclure que ce vitrail est composé d’éléments végétaux au premier plan qui créent l’architecture, et au deuxième plan, le paysage s’y développe tel une fenêtre sur le monde extérieur.

Dans son intérieur Horta a voulu « […] suggérer la végétation dense des serres tropicales […] »[3]. En effet, la ligne en « coup de fouet » a été reprise un peu partout dans l’Hôtel Tassel et Robert L. Delevoy écrit à propos de cette innovation : « La ligne Horta s’y déploie avec exubérance. Elle semble libérer la raison du constructeur. Elle fouette sol, murs, plafond. Elle s’échappe des chapiteaux, court aux rampes d’escalier, cerne les pieds des meubles, étend les branches des lustres, rampe à travers le plomb des vitraux. Elle cingle partout, s’enroule, s’entrelace, se délie, aussi flexible que des lianes : des lianes cependant apprivoisées par la géométrie »[4]. Cette ligne est déclinée en plusieurs couleurs sur fonds différents et crée « […] une atmosphère de calme, de repos et de détente »[5].

[1] Loyer et Delhaye, 1996, p. 21.

[2] B. Schoonbroodt, Artistes belges de l’Art nouveau – 1890-1914, Bruxelles, Racine, 2008, p. 188.

[3] Loyer et Delhaye, 1996, p. 21.

[4] P. E. Vincent, « Victor Horta : au-delà des moulures, des volutes et des spirales », dans Colloque Horta : Actes Académie royale de Belgique, Europalia 1996, Palais des Académies, 20 novembre 1996, p. 99.

[5] Meers, 1995, p. 35.

L'Hôtel Tassel, 1893-1895
L'Hôtel Tassel, 1893-1895

Pour conclure, ce décor foisonnant à l’intérieur répond comme une « musique » au décor sobre de la façade[1]. Mais celui-ci n’a pas été utilisé de cette manière partout dans l’Hôtel Tassel, il s’est surtout développé dans la partie dédiée à la réception. L’espace intérieur s’oppose au monde extérieur, c’est une sorte de serre qui explose dans la partie avant du bâtiment, c’est un mouvement de courbe et de contre-courbe, s’opposant à la façade qui est « […] la seule forme arrêtée »[2]. Mais cette dernière possède tout de même une ondulation, grâce au bow-window et aux angles des ouvertures qui sont arrondis afin de donner plus de souplesse à la pierre. Certaines lignes se retrouvent tantôt à l’extérieur, tantôt à l’intérieur et la couleur opère de la même manière. Le vert sur les parties en fer se retrouve des deux côtés, mais la couleur orangée ne pouvait pas être appliquée sur la façade pour éviter de choquer l’œil, mais aussi afin de délimiter l’extérieur, chaos de tous les jours, et l’intérieur, où règne la sérénité. L’idée d’élévation aérienne où les matériaux se font de plus en plus transparents se retrouve des deux côtés. A l’extérieur, c’est par l’allongement, la diminution des éléments décoratifs et pesants que cet effet est rendu. A l’intérieur, celui-ci est articulé grâce à la transparence et l’illumination des puits de lumière et par la diminution d’éléments végétaux au fur et à mesure que l’on monte d’étage.
Par tous ces éléments il est impossible de dire que le décor de l’extérieur se dissocie totalement avec celui de l’intérieur. Malgré le traitement sobre de la façade, l’enracinement des poutres et la ligne de coup de fouet sont déjà présents et préannoncent le décor de l’intérieur qui semble commencer par la mosaïque pour grimper sur les murs, sur la balustrade des escaliers ainsi que sur les colonnettes pour finir aux luminaires fleuris. Le lien entre l’extérieur et l’intérieur est la sensation d’élévation et d’agrandissement de l’espace ainsi que la fusion entre nature et architecture, mais les couleurs chaudes de l’intérieur ne sont pas présentes à l’extérieur, créant ainsi une barrière opposant le monde « chaotique » de l’extérieur par des couleurs claires et froides et le monde serein de l’intérieur par des couleurs chaudes et vives, notamment sur les vitraux.

[1] Tsihlias, printemps 1996, p. 111.

[2] M. Draguet, « Horta évolutionniste : l’hôtel Tassel ou la rupture improbable », Bulletin de l’Académie royale de Belgique 7-12, 1996, p. 200.

Bibliographie

F. Aubry, Victor Horta à Bruxelles, Bruxelles, Racine, 1996.

J. Debicki, J-F. Favre, D. Grünewald, A.F. Pimentel, Histoire de l’art, Paris, Hachette, 1995.

M. Draguet, « Horta évolutionniste : l’hôtel Tassel ou la rupture improbable », Bulletin de l’Académie royale de Belgique 7-12, 1996, pp. 191-209.

F. Loyer et J. Delhaye, Victor Horta –Hôtel Tassel 1893-1895, Bruxelles, AAM, 1996.

L. Meers, Promenades Art Nouveau à Bruxelles, Bruxelles, Racine, 1995.

C. Mesnil, Victor Horta – l’inventeur, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001.

B. Schoonbroodt, Artistes belges et l’Art nouveau – 1890-1914, Bruxelles, Racine, 2008.

G. Tsihlias, « Victor Horta : The Maison Tassel, The Sources of its Development », Canadian journal of Netherlandic studies, vol. 17, issue 1-2 (printemps 1996), pp. 108-128.

P. E. Vincent, « Victor Horta : au-delà des moulures, des volutes et des spirales, dans Colloque Horta : Actes Académie royale de Belgique, Europalia 1996, Palais des Académies, 20 novembre 1996, pp. 97-109.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article